Le sang perlait au coin de sa bouche. Il ne put retenir un toussotement duquel s’échappa un nouveau filet de sang. Il était sur le point de mourir, il savait sa fin proche. Pourquoi continuer à se battre pour la vie alors ? Pourquoi ne laissait-il tout simplement pas ses muscles se relâcher un à un jusqu’à ce que son cœur à son tour ne cède ?  Pourquoi elle ne l’achevait pas ? Il leva ses yeux fatigués vers ce visage glacé qui le scrutait. Cette jeune femme, tout juste plus jeune qu’elle, l’avait torturé toute la nuit espérant qu’il se déciderait à lâcher les informations qu’il détenait. Mais il était coriace, Anastasia le savait. Dans sa main elle tenait la petite lame qui lui servait à dépecer petit à petit sa proie. Parce que c’était tout ce qu’il était désormais, une vulgaire et vulnérable proie. S’approchant de lui tel un félin s’approchant de son repas, Anastasia lui empoigna le cou. « Puisque tu ne veux pas te montrer plus utile, je crains ne devoir me débarrasser de toi. » Un éclair de terreur passa furtivement dans les yeux émeraude de l’homme, mais il n’eut pas le temps de parler que la lame s’enfonçait déjà droit dans son cœur. Il avait beau avoir déjà rendu son dernier souffle, Anastasia, un vicieux sourire planté sur les lèvres, tourna un peu plus profondément la lame pour s’assurer que ce fragile petit cœur ne serait qu’un tas de lambeaux. Elle ne recula enfin que pour observer son œuvre. Cet homme dont elle n’avait même pas retenu le prénom se trouvait là, face à elle, mort, les mains attachés au-dessus de sa tête à une branche d’arbre. Une légère brise vint caresser son visage et anima un dernier instant la chevelure de l’homme. Une victime de plus. Ce n’était rien d’autre pour elle. Anastasia n’avait pas l’intention de se nourrir de lui cette fois-là. Non elle allait le laisser accroché à cet arbre tel un signe d’avertissement. Pour montrer de quoi elle était capable. Jetant un dernier regard au cadavre, la jeune femme tourna les talons pour l’instant d’après laisser place à un loup au pelage sombre.




Ses coussinets se posaient simultanément au sol, ses griffes projetant de la terre un peu partout derrière elles. Cette sensation de vitesse, de liberté, le vent soufflant dans son pelage, tout cela était indescriptible, incomparable. De justesse, elle frôlait les immenses racines d’arbres pour accentuer cette impression de puissance. Elle se croyait imbattable tout simplement. C’était dans ces moments-là qu’elle comprenait pourquoi ses parents avaient tant insisté pour qu’elle suive cette formation. Jamais elle n’avait nié que ça avait été dur, mais la récompense en valait la peine. Arystide mit un frein à sa course, prenant alors conscience que le soleil commençait à poindre. C’était sa manière à elle de faire du sport, de se maintenir en forme. Venir dans la forêt interdite était un rituel prohibé qui la changeait de son quotidien. Ici, elle pouvait être sauvage. Ses crocs se plantent profondément dans la chair fraiche de cet enfant. Le regard de la louve s’affola soudainement. Elle comprenait ce qui se passait mais elle ne voulait pas voir ça à nouveau. Un dernier râle s’échappe de la bouche de la gamine, qui se tord de douleur sous la mâchoire de l’animal. Paniquée et horrifiée par ces flash non désirés, la louve se stoppa instantanément. Elle ne voulait pas… Il fallait que ça s’arrête. Pitié faites que ça s’arrête. Arystide savait que le seul moyen de bloquer ces visions était de reprendre une forme humaine. Mais elle était comme happée par ces images qui semblaient si réelles. Comme si elles étaient une part d’elle. Mais Arystide savait qu’elle n’avait jamais tué. Non, elle n’oserait jamais ôter ce souffle si précieux de la vie humaine. Elle pensait tellement bien se connaître… L’odeur du sang lui montait au museau. Instantanément, elle reprit son apparence humaine. Haletante, elle n’arrivait pas à sortir de son esprit cette vision si horrible. Ce n’était pas la première fois que cela se produisait, mais elle ne comprenait toujours pas ce qui était à l’origine de ces flash. Alors elle gardait ça pour elle, elle n’en parlait pas. C’était la seule part d’ombre d’Arystide, son secret et son cauchemar à la fois. Recroquevillée au sol, la jeune fille était une nouvelle fois déboussolée. Qui était cet enfant que ce loup avait mordu jusqu’à en arracher la vie ? Et ce loup, d’où sortait-il ? Comment obtenir des réponses ? On la prendrait pour une folle si elle parlait de ces visions sanglantes. Tout ce qu’elle savait, c’était que ça ne faisait pas partie du contrat des animagi. Arystide releva la tête. Il fallait entrer au château. Il fallait faire comme si de rien était, une fois de plus. Elle devait être la jeune fille souriante, aimable et que rien ne semblait perturber. Elle devait être elle-même.  




« Je suis désolé de devoir t’annoncer ça Anastasia. Nicolaï est mort il y a quelques heures, j’ai reçu un hibou à l’instant me portant la nouvelle. »Les mots du vieillard résonnaient dans sa tête comme une mauvaise comptine. Dès le début elle avait su que c’était une mauvaise idée. Pourquoi est-ce qu’elle l’avait laissé partir ? S’il y avait bien une seule personne sur cette maudite planète qui comptait à ses yeux, c’était lui. Malgré tout ce que l’on disait sur elle, oui Anastasia Ivanovna était capable d’aimer. Cet homme avait représenté tellement de chose pour elle, que le savoir mort aujourd’hui la détruisait de l’intérieur. Elle avait envie de hurler, de hurler si fort d’elle en perdrait la voix. La douleur semblait intenable. L’homme posa délicatement sa main sur l’épaule tremblante de la jeune femme. Révulsée par ce geste inattendu, Anastasia poussa violement le vieillard contre le mur. Sa tête se fracassa contre ce dernier avant que l’homme ne tombe au sol, raide. Le regard de la jeune femme se posa sur ce corps sans vie. Un mélange de terreur et de satisfaction s’empara d’elle. Ce n’avait pas été un geste totalement volontaire. Elle ne pensait pas que l’homme serait mort sur le coup. Pourtant elle l’avait bel et bien tué, et c’était la première fois qu’elle ôtait la vie de quelqu’un… Petit à petit elle réalisa que la colère était à l’origine de ce geste. La colère d’apprendre la mort de celui qu’elle aimait. La colère de l’avoir laissé partir pour ces stupides négociations avec les anglais. La colère de ne pas être elle-même en France, en train de faire regretter son acte à celui qui l’avait tué. Anastasia quitta la pièce, laissant derrière elle le corps sans vie du messager, ne se souciant déjà plus de sa mort. Depuis toujours, elle avait été d’une nature assez cruelle, mais là c’était une nouvelle page qui s’écrivait. Pas totalement une nouvelle Anastasia, mais quelque choses avait bien changé en elle. La guerre avait été déclarée et elle comptait bien y laisser son nom. Venger la mort de sa deuxième moitié était maintenant son ultime but. Mais elle ne se doutait pas encore que ce meurtre allait être le premier d’une longue et interminable série. Elle ne se doutait pas que tuer allait devenir une passion, une soif intarissable. C’était le début d’une nouvelle ère, celle d’une jeune femme sans pitié, qui n’avait plus rien à craindre et plus rien à perdre si ce n’était sa vie.




« Voyons Nastia, que t’arrive-t-il ? »  Paniquée, la mère d’Anastasia recula brusquement, ne comprenant pas pourquoi sa fille avait fait irruption dans le salon aussi soudainement. Cette dernière avait le regard méprisant et dévisageait ses parents avec une froideur incomparable. « Père, mère, j’estime que vous avez accomplis votre tâche. Vous m’avez donné à manger, vous m’avez logée et vous m’avez fait profiter de votre petite fortune. » Un sourire malsain se dessina sur ses lèvres. Elle savait ce qu’elle s’apprêtait à faire, ce n’était plus la première fois maintenant. Depuis qu’elle avait rejoint les Eurus de Feu, Anastasia avait tué de multiple fois. Elle avait découvert la torture aussi et elle y avait pris goût. Sa vie était devenue malsaine, côtoyant au quotidien la mort, le sang, les cris de douleurs. Cette maison en plein cœur de Moscou n’était qu’un débris de son passé, tout comme ses parents. Elle se devait de se débarrasser d’eux, ils n’étaient plus rien désormais. « Anastasia je t’ordonne de nous expliquer à quoi rime tout ceci ! » L’homme ne comprenait pas non plus. Pourtant il avait entendu parler des exploits de sa fille, de la bataille qu’elle menait pour les slaves. Il était fier de voir les ambitions de sa progéniture, de voir jusqu’où elle était arrivée. « Mais père tu n’as plus rien à m’ordonner. Le pouvoir dans cette pièce, c’est moi qui le possède. Vous n’êtes désormais que de vulgaires sorciers, vous n'avez  rien fait de votre vie. Moi je me bats pour une cause. Vous, vous vous planquez ici, loin de la réalité, dans votre confort. Sans même vous souciez de ce qui se passe dehors. C’est pour un nouveau monde que je mène ce combat. Cette guerre, c’est notre monde à nous. Mais je ne crains que vous n’en fassiez pas parti. » L’effroi figea les deux personnages instantanément. Anastasia, à peine sa phrase terminée, se jeta sur son père, baguette en main, et lui jeta le sort fatal. Elle se tourna ensuite face à sa génitrice, le même sourire malsain accroché aux lèvres. « Ce ne serait pas juste de te laisser en vie, papa serait seul là-haut… » Poussant un cri strident, la mère d’Anastasia tenta de s’échapper. Alors réagissant le plus vite possible, la jeune fille laissa place à son deuxième elle. Un loup se mit soudainement à poursuivre la pauvre femme qui n’avait pas suffisamment d’endurance pour concurrencer l’animal. Son destin était celé alors que la bête attrapait son mollet, arrachant au passage un bout conséquent de sa robe. Le corps inerte de sa mère gisant devant les yeux de la louve, cette dernière leva le bout de son museau pour observer la pièce dans laquelle elle se trouvait. C’était sa chambre. Enfin son ancienne chambre pour être plus exact. Rien n’avait bougé depuis qu’elle avait quitté le domicile familial pour Durmstrang. Tout était parfaitement à la même place. Mais sans une once de nostalgie, la louve quitta les lieux, laissant de nouvelles victimes sur son passage. Elle devait maintenant se rendre le plus vite possible en Angleterre.          




Ah, ce que l’homme pouvait être rancunier. Ou alors il était bien trop stupide. Ce fameux Heath en était l’exemple même. Et dire que tout ça, c’était à cause d’une simple vie envolée. On est en guerre mon petit, alors oui la mort tu vas devoir la vivre, et pas qu’une seule fois. Elle ne comprenait pas cette haine qu’il lui vouait, ou cet acharnement qu’il avait contre elle. Au début, ça l’avait quelque peu amusée de le voir ainsi se démener pour accomplir sa vengeance. Mais elle déchanta rapidement. Il était probablement le seul à lui échapper. A chaque fois. Ça nuisait à sa réputation. Elle, Anastasia, qu’on surnommait La louve chez les slaves, n’arrivait pas à se débarrasser d’un sale petit anglais. Pourtant il fallait bien une fin à tout. Et la jeune russe a eu sa fin.
Etendue au sol, Anastasia était plutôt en mauvais état. La guerre l’avait affaiblie considérablement. C’était lui, Heath, qui avait porté le coup final. Lui aussi était faible, ça se voyait à ses traits creusés. Mais elle n’avait pas dit son dernier mot. Oh non, la lâcheté faisait encore partie d’elle, incrustée quelque part dans sa chair, bien profondément. Alors elle n’hésita pas à lever sa baguette bien que le jeune homme lui tourne le dos, pour lui administrer le véritable coup fatal. C’était elle qui avait gagné, une fois encore. Elle regarda fièrement le corps s’effondrer au sol. Elle l’avait anéanti, celui qui lui avait opposé tant de résistant et voué une haine sans pareille, elle l’avait anéanti. Se relevant avec une certaine difficulté, Anastasia trouva le moyen de s’échapper du champ de bataille. Malheureusement, la rouquine ne possédait plus assez de force en elle pour se transformer. Même le désespoir ne suffisait pas à opérer le changement en loup.
Durant quelques semaines, la jeune femme disparue de la circulation. Elle se retira en Finlande pour se ressourcer avant de retrouver le front de la guerre. Encore plus cruelle qu’avant, encore plus sanguinaire, encore plus sauvage.
Les branches fouettaient son visage pâle. De nombreuses cicatrices le scarifiaient de part et d’autre de ses joues et ses tempes. La guerre l’avait presque défigurée, elle qui avait pourtant un si beau visage. Dans la neige, ses pas craquaient hâtivement, laissant derrière eux de lourdes traces. Elle ne cherchait pas réellement à être discrète, elle savait qu’elle était suivie. Elle savait que cette personne l’avait traquée durant des mois. Mais elle était prête maintenant. Prête à mourir. A presque 28 ans, la fatigue l’avait rongée. Les années de guerre l’avaient détruite et à la fois façonnée. Pourtant, peut-être pour tenter de se convaincre qu’elle ne se rendait pas, Anastasia continuait de courir au milieu des arbres pour échapper à son bourreau. Malgré tous ces efforts, il était déjà trop tard. La flèche fusa à travers les branches pour finir sa course plantée dans la tête de la jeune femme. La douleur ne se fit pas même sentir. A son tour, après avoir plongé des dizaines et des dizaines de personnes dans la mort, Anastasia fit la connaissance de ce long et interminable sommeil.    




C’était une magnifique petite jeune fille. La crinière rousse, les yeux –soit disant- de son père et le visage de sa mère. Arystide était l’enfant rêvé de tout parent. Bien élevée, polie et d’une gentillesse sans égale, elle était bien la fierté de ses deux parents. A eux trois, ils formaient la petite famille typiquement londonienne, qui vivait aisément dans le quartier chic de Knightsbridge. Née dans une famille de sang-pur, Arystide n’avait jamais manqué de rien, sans pour autant qu’elle ne devienne une jeune fille trop gâtée. Aujourd’hui âgée de 13 ans, elle préparait déjà son arrivée à Poudlard, persuadée évidement qu’elle y ferait sa rentrée prochaine. Mais si elle attendait avec autant d’impatience d’être acceptée au sein de l’école, c’était aussi pour pouvoir démarrer son apprentissage. En effet son père tenait à cœur l’idée de faire suivre à sa fille une formation d’animagus. Et la petite rouquine était aussi excitée que son père à cette pensée-là.
Dans l’école qu’elle fréquenta jusqu’à ses 14 ans, Arystide s’était fait plusieurs amis proches, qui eux-mêmes étaient des sorciers en devenir. Persuadée qu’ils suivraient ses pas jusqu’à Poudlard, le déchirement fut gros lorsque ses parents lui annoncèrent que ses deux meilleures amies quittaient l’Angleterre pour la France. Ils tentèrent tout de même de la rassurer, lui racontant leurs propres enfances au sein du château. Arystide fondait tous ses espoirs de réussite à Poudlard sur les récits de ses parents. Rejoindre les couleurs de Gryffondor comme son père, exceller comme sa mère dans les meilleures matières… Arystide se sentait définitivement prête à suivre leur trace tout en esquissant son propre bout de chemin.




« Il parait que ses parents lui ont envoyé une beuglante la semaine dernière ! » La salle commune toute entière explosa de rire suite aux paroles de Naomi. Arystide elle, n’écoutait que d’une oreille distraite la conversation. Les ragots qu’on se racontait entre Gryffondor n’étaient pas ce qui la passionnait le plus. Elle était plutôt du genre à écouter plutôt qu’à colporter. C’était d’ailleurs ce qui faisait d’elle une fille appréciée. Mais ses camarades ne vivaient que pour ça… Assise dans son fauteuil auprès de la cheminée qui crépitait, la rouquine se leva pour quitter la pièce. Elle ne se sentait pas d’humeur à rire ou à parler sur le dos d’un autre élève. « Ary, tu vas où comme ça ? J’allais justement parler de ce qu’a encore raconté cette vermine de Rohan sur toi. » La jeune Levan tourna la tête en direction de son amie, un doux sourire aux lèvres. Elle savait qu’elle n’aimait pas le jeune homme autant qu’elle, mais elle se sentait obligée de lui raconter tout ce que le Serpentard balançait dans son dos. Pourtant Arystide s’en passerait bien de savoir ce genre de chose. « Tu me raconteras ce soir, en privé. Je vais juste aller faire un tour dehors, profiter de la neige avant qu’elle ne fonde. » Adressant un dernier sourire à tous ses camarades, elle quitta définitivement la salle commune des rouges et or. Elle ne s’était toujours pas remise de sa vision du matin, l’image de l’enfant cédant sous les crocs de l’animal lui hantant les pensées. Il fallait qu’elle se change les idées au plus vite possible. Dévalant les escaliers, Arystide se dirigea non pas vers le parc de l’école mais vers une petite cours intérieur qu’elle avait l’habitude de fréquenter. Elle savait qu’elle trouverait le jeune homme là-bas. Il s’y rendait toujours avant le dîner. Comme quoi, même si elle ne le connaissait que depuis quelques jours, elle avait appris certaine chose à son propos.
Et évidemment, il était là, assis contre le pilier d’une voûte. La Gryffondor hésita en premier lieu à venir le déranger, mais finalement poussée par un désir d’affection qu’elle n’ignorait pas, Arystide se posta aux côtés du jeune homme. « Salut toi. Alors encore en train de terminer un devoir d’Astronomie ? » Sa voix était taquine mais toujours aussi douce. Elle s’abaissa à sa hauteur pour pouvoir entamer une conversation qui lui fit enfin oublier les horribles images qu’elle n’arrivait toujours pas à expliquer.