underneath the echoes buried in the shadows, there you were. drawn into your mystery, i was just beginning to see your ghost.
"Oksana, ma chérie, les Rosenthal ne vont pas tarder à arriver, fini rapidement de te préparer je te prie." lui somme avec entrain sa mère avant de renfermer à la hâte la porte de chambre de la jeune fille et de s'élancer, au son du bruit que ses talons produisent contre le plancher en bois, vers l'étage inférieur. Oksana jette alors un coup d’œil furtif de la fenêtre qui donne sur le devant de la maison afin de s'assurer qu'elle avait encore quelques minutes devant elle pour terminer de se coiffer avant que les Rosenthal et leurs fils n'arrivent. La place était déserte et se muait dans un silence de plomb, elle se remit alors à brosser en douceur ses longs cheveux bruns. Les Rosenthal étaient depuis de longues années des amis proches de ses parents et chaque année, comme une ancienne tradition, leurs deux familles se retrouvaient, soit chez les Karénina, soit chez eux en Allemagne, afin de passer ensemble une partie des vacances d'été. Bien qu'ils émanaient d'eux une aura d'archaïsme prononcé, la jeune sorcière avait appris à les apprécier malgré leur réserve et leur manque de spontanéité ; il lui arrivait même de discuter longuement avec le patriarche de littérature ou de politique. Surtout de politique. C'est notamment de lui qu'elle tient toute sa culture en la matière et son père se plait à rappeler à son ami à quel point il influençait dangereusement sa fille, ce à quoi il répondait automatiquement qu'Oksana était suffisamment saine d'esprit pour savoir quel parti soutenir. Et la discussion se terminait par le rire grave de son père et par une tape amicale de monsieur Rosenthal sur son épaule. Elle les appréciait, oui. Il se pouvait même qu'ils étaient les seuls avec lesquels ses parents entretenaient une véritable relation et non pas de celles par intérêt qui jalonnaient depuis toujours leur cercle de connaissances. Ses parents s'efforçaient depuis de longues et laborieuses années à se faire une place parmi les notables afin de garantir à leur unique fille des moyens (à coup de renfort desdites connaissances) solides pour s'élever dans la société. Parce que s'ils ne faisaient pas partis de ces miséreux qui peuplaient la Russie, il n'en restait pas moins que Dimitri se devait, pour nourrir sa famille ainsi que les efforts considérables qu'elle déployait pour être invitée dans les mondanités, de se tuer au travail pour ramener l'argent nécessaire à leur train de vie. Et le meilleur moyen d'accéder à cette chance d'élévation, à ce Graal résidait en leur fille. Oksana, du haut de ses quinze ans, avait déjà tout de la jeune première à qui tout allait réussir. Brillante élève appréciée de tous, elle n'était pas de ceux et celles qui devaient enfouir bien profondément leurs défauts pour que leurs qualités soient reconnues, au contraire même. Oksana brillait tel un diamant brut. Elle n'avait nullement besoin d'artifices ou de subterfuges pour s'imposer de tout son être. Elle brillait et scintillait. Non. Elle explosait de mille feux. Depuis enfant, Oksana était cette petite fille avide d'apprendre et de découvrir dans l'instant le monde qui l'entourait. Elle a même longtemps manqué de patience avant que ses parents, après des efforts gargantuesques, ne lui inculquent l'art de la tempérance et du mesuré. Elle a alors appris à attendre docilement. Attendre, seulement attendre. Le reste se retrouva bien vite submergé par l'énergie qu'elle semblait puiser d'un puits vraisemblablement sans fond. Mais cela charme, séduit et envoûte. La spontanéité et la candeur dont elle fait preuve pourrait, le raconte-t-on, amadouer le plus dur des coeurs figés dans la glace. Cela n'a jamais été certifié mais lorsqu'on vient à croiser Oksana, il est bien difficile d'en détourner le regard et d'ignorer ses éclats de voix et son rire cristallin. Et c'est ce qui lui assure une assurance à toute épreuve parce qu'au fond, elle fait bien fi des convenances et des que-dira-t-on.
"Mon ami !" L'exclamation chaleureuse de son père l'a sort brutalement de ses songeries et lui annonce l'arrivée des Rosenthal, ce à quoi elle ne peut s'empêcher de sourire, elle était heureuse de les retrouver.
"Que tes fils ont grandis dis-donc. Je parierais qu'ils ont au moins pris une bonne dizaine de centimètres chacun." Le père d'Oksana s'entendait à merveille avec les garçons Rosenthal et il ne manquait jamais de se montrer chaleureux et amical envers eux. Comme s'ils étaient, pour le temps de quelques semaines, les fils qu'il n'a pas eu la chance d'avoir, Nikolina, la mère d'Oksana, ne parvenant plus à avoir d'enfant depuis la naissance de sa fille.
"Et ta fille mon cher Dimitri, où la caches-tu donc ?" Affichant un sourire amusé, Dimitri se retourna dans un mouvement théâtral, invitant ses convives à se retourner également face à l'imposant escalier. Oksana sentit les regards braqués sur elle tendit qu'elle descendait gracieusement les marches, un délicat sourire pendu à ses lèvres carmins. Avant qu'elle n'atteigne le palier, elle eut le temps de s'attarder sur les visages, un à un, de chaque membre de la famille, en cherchant un tout particulièrement. Celui du cadet de la fratrie des trois garçons. Celui d'Allistair. Bien qu'il était plus jeune qu'elle, elle s'entendait à merveille avec lui, allant jusqu'à le considérer même comme un petit frère avec lequel elle pouvait commettre, espiègles, de petits écarts de comportement dans le dos de leurs parents comme prendre la poudre d'escampette peu avant la tombée du jour pour profiter d'un divin coucher de soleil. Et même si elle atteignait les quinze ans, elle ne manquerait pour rien au monde leur petite tradition à eux. Ainsi quand leurs regards se croisèrent, son visage aux traits moins poupons que l'année précédente s'illumina et il lui adressa un large sourire auquel elle répondit par un discret clin d’œil. Juste à temps avant que ses escarpins ne foulent le sol et qu'elle ne s'incline légèrement en guise de polies salutations.
"C'est un plaisir de vous revoir Monsieur et Madame Rosenthal." dit-elle de sa mélodieuse voix.
"Ta fille gagne en beauté un peu plus chaque année Dimitri. " affirme respectueusement Monsieur Rosenthal sous la mine fière du père d'Oksana. Parce que si lui et sa femme se donnent tant de mal à mettre leur fille sur le devant de la scène, il n'en reste pas moins qu'ils sont tous deux des parents fiers et aimants qui ne veulent que son bonheur. Après quoi, Oksana salua Madame Rosenthal en arguant la finesse des broderies, qu'elle savait faites main, de sa robe, compliment auquel la femme renvoya un réservé mais bienveillant sourire, Allistair, quant à lui, s'inclina devant elle mais, dans son enthousiasme de le revoir, elle lui répondit en lui ébouriffant sa tignasse brune sous l'air moitié vexé, moitié amusé du jeune garçon. L'aîné de la famille étant absent pour une raison qu'elle ignorait, il restait le second fils. Franz. Depuis le début des retrouvailles, il était resté en retrait, n'exprimant aucun sentiment particulier. Sa relation avec lui avait toujours été des plus minimalistes, se contentant de se saluer respectueusement avant que chacun ne parte vaquer à ses occupations, allant jusqu'à oublier l'existence de l'autre. A vrai dire, autant avant elle le considérait simplement comme le fils d'amis de la famille, sans se pencher davantage sur lui, le préférant mille fois à son petit frère, autant maintenant, il l'agaçait. Et c'était bien une première. Son indifférence l'agaçait, sa passivité l'agaçait, l'air sérieux muré sur son visage l'agaçait. Tout l'agaçait soudainement. Oh, il avait toujours été courtois et poli quand la situation l'exigeait, alignant même quelques phrases (ou banalités) qui lui étaient adressées mais il n'avait jamais fait d'effort particulier pour se montrer agréable. Et elle non plus par conséquent. C'était ça le problème avec Oksana. Elle était délicieuse comme jeune fille mais elle pouvait aussi se montrer d'une implacable et cinglante indifférence elle aussi, se moquant éperdument de son ton désagréable et de sa moue hautaine. Et puis, elle n'était jamais à manque de conversation. Ou plutôt de bavardage. Elle maniait les mots aussi bien que le sabre (tradition familiale exige) et ceux-ci pouvaient se retrouver tout aussi tranchants. Elle les aiguise à merveille, les font adroitement voltiger dans l'air avant que le couperet ne tombe, sec.
Les deux pères s'éloignèrent en discutant des derniers événements du monde magique tandis que la mère d'Oksana invita sa convive à s'installer au salon et celle-ci entraîna, un peu contre sa volonté, son jeune fils avec elle. Oksana se retrouva alors avec Franz pour seule compagnie.
"Franz." Son ton était sec et le garçon ne tarda pas à répondre tout aussi froidement.
"Oksana." Un silence s'installa soudainement entre eux. De ces silences cassants où aucun n'a envie de faire d'effort pour les briser. Elle ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel, frustrée à l'idée de devoir supporter le garçon pour les trois semaines à venir. D'habitude, elle n'avait guère besoin de se soucier de lui, sauf que cette année son père lui avait chaudement recommandé de passer davantage de temps avec le second fils Rosenthal et il avait ajouté qu'il ne comprenait pas pourquoi elle était si peu encline à le côtoyer alors qu'elle passait tout son temps avec son plus jeune frère. Ce à quoi elle avait répondu que leurs caractères n'étaient en nul point compatibles et que leurs humeurs respectives divergeaient de trop. Mais il avait insisté et elle avait cédé.
"Père organise une soirée en l'honneur de votre arrivée, on s'y verra donc." Dans une volée de cheveux elle se retourna et s'éclipsa du hall d'entrée afin de rejoindre sa mère et celle de Franz, plantant ainsi le garçon. Et ce n'est qu'à la lueur de la tombée du jour que tous deux se retrouvèrent parmi la petite quinzaine d'invités, peut-être plus, qui bavardaient à haute voix, échangeant probablement les derniers potins. Tout en traversant la salle, Oksana saluait avec amabilité chacun des invités, les gratifiant d'un sourire chaleureux et de quelques mots bien placés qui faisaient toujours leur petit effet. Après s'être enquis de longues minutes de la santé de la jeune fille d'une de ses voisines, Oksana était en pleine vive discussion avec un homme, le questionnant sur son dernier voyage en Egypte, fascinée par le récit de son voyage, lorsqu'elle repéra un peu plus loin Franz, appuyé contre le mur, l'air de s'ennuyer ferme. Hésitant entre l'envie de l'ignorer et celle d'aller déranger sa soporifique tranquillité, elle interrompit l'homme dans son discours, non sans lui faire promettre de lui raconter la fin, et s'élança, un sourire aux lèvres vers le garçon.
"Et moi qui pensait que les allemands avaient le goût de la fête" Le garçon tourna derechef la tête en direction d'Oksana qui s'était exclamée tout en poursuivant sa course pour le rejoindre.
"Ah moins que, chez vous, cela se résume à raser les murs, priant pour que personne ne vienne vous importuner. " Oksana avait ce don de frôler l'impudence tout en faisant preuve d'éloquence.
"Ce qui serait bien triste, si tu veux mon avis. " Le garçon, dont le sourcil s'était arqué en signe d'agacement, semblait se retenir de lui répliquer, cinglant, que son avis ne lui était d'aucune importance mais il se contenta de répliquer calmement mais sèchement.
"Nous n'avons simplement pas le même sens de la fête." "Oh, tu m'en vois navrée. " ironisa-t-elle aussitôt, feintant la désolation.
"Et quel serait ce sens de la fête si différent du nôtre ? " Elle est agaçante, elle le sait, mais elle ne démords pas de son idée de le faire sortir de son indifférence et d'obtenir de lui un peu plus que trois syllabes alignées de force.
"Ou plutôt, devrais-je dire ton sens de la fête dans la mesure où tu es le seul ici à ne pas t'amuser. Même ta famille semble un tant soit peu appréciée la musique et notre compagnie. Ou alors ne sais-tu simplement pas t'amuser ? " Elle exagère et outrepasse les bonnes manières mais elle en fait fi avec complaisance.
"Je sais m'amuser." Vexé, il hausse enfin la voix et met davantage d'ardeur dans son ton lorsqu'il prononce le "sais". Satisfaite, elle aurait pu en rester là, calmer le jeu, mais quelque chose en lui l'intrigue et l'amuse en même temps. Il n'est peut-être pas si ennuyant que ça, il lui suffit juste de réveiller cette lueur de malice qui semble endormie dans ses sombres prunelles.
"Oksana !" Elle se retourne derechef, pouvant reconnaître entre mille la voix encore enfantine d'Allistair.
"Hé Allistair !" s'exclame-t-elle.
Oh mon père avait raison, qu'est-ce que t'as grandis mon grand ! Tu dépasseras bientôt ton frère! " rajoute-t-elle, taquine, à l'égard de Franz avant d'entourer le jeune garçon de ses bras.
"Dis, on va toujours voir le coucher de soleil demain soir, hein ?" "Qu'est-ce que tu crois, bien sûr qu'on va y aller gamin!" Elle secoue une énième fois la tignasse du garçon en éclatant de rire sans faire attention au regard que Franz posait alors sur elle. Un regard des plus troublés.
(maison des Karénina, Russie, été 1612)
(✰)Cours, il ne faut pas que tu cesses de courir, la mort te talonne dangereusement, t'englobant de son voile funeste au moindre ralentissement, à chaque reprise de ce souffle qui te fait défaut et qui t'étrangle au rythme saccadé de tes respirations. Tu souffres, agonises mais tu ignores l'origine de cette plaie béante qui semble te percer la chair un peu plus à chaque fragment d'instant. Ton visage glacé, quant à lui, se fait fouetter à chaud par les bourrasques qui tempêtent entre les feuillages des arbres parmi lesquels ta course se retrouve jalonnée d'obstacles. Tu t'épuises, ton corps frêle n'est plus qu'un fardeau que tu traînes inlassablement pour sauver ta peau, pour sauver tes moindres espoirs de survie. Parce que tu ne veux pas mourir. Pas ici, pas maintenant, pas comme ça. Et tu penses à lui et ton esprit grave son visage dans ta tête. A tel point que ton désir de survie est effacé, arraché et remplacé par le désir ardent de sa survie. L'angoisse t'envahit aussitôt tel le brouillard et tu te sens perdre la tête. Où est-il ? Tu n'entends pas sa voix, tu ne l'entends plus. Tu n'entends seulement que le silence menaçant. Tu te mets à crier son nom, à le hurler du fond de tes entrailles à t'en faire déchirer la gorge. Mais il ne répond pas. Des perles de larmes commencent, lourdes, à déferler sur tes joues creusées et à te brouiller une vue déjà des plus précaires. Sournoises, elles-mêmes ne réclament que ta mort. Tu ne vois plus rien. Tes sens ne sont plus. Eux aussi t'ont lâchement abandonnés. Et soudain, tu trébuches. Et ta chute te semble la plus longue qui soit avant que le sol ne se rappelle à toi. Et la vue te revient comme par magie. Pour t'offrir le plus macabre des cadeaux. Son corps est étendu tel un pantin désarticulé gisant dans ce chaud liquide rouge qui luit alors sous les rayons de la lune. Ces yeux, tournés vers toi, ne sont, eux, plus que deux billes vidées de toute leur essence. La violence de son corps meurtri te fait hurler au désespoir tandis que tu sens sur ta peau un frottement d'os, puis un bras décharné te retourne, te détachant de ton agonie. Et là, sous la lune, des visages ensanglantés et torturés t'envahissent. Leurs bouches se déforment à mesure qu'elles se rapprochent de toi. Tu voudrais les repousser mais tu en est incapable. La douleur de sa perte te courbe l'échine devant ces monstres et tu ne réclames plus que la sentence finale pour y mettre fin. Et soudain, tu sens comme des crocs te lacérer et tu ne peux plus que hurler. Ton dernier chant funeste. Ses cris percèrent la nuit noire et glaciale tandis qu'un torrent de larmes se déversait sur sa peau brûlante en sueur.
"Réveille-toi Oksana, je t'en supplie réveille-toi!" Les secousses incessantes de Franz finirent par la faire sortir de son cauchemars et elle rouvrit difficilement les yeux. Son rythme cardiaque s'affolait et elle avait bien du mal à respirer calmement, subissant encore des soubresauts de respiration.
"Je.. je les voyais. Ils étaient.. ils étaient là, tou.. tous." Le regard encore terrifié, elle était totalement apeurée et perdue, bouleversée par les images qui s'étaient immiscées dans son cauchemars. Ce n'était pas des simples visages, des visages d'inconnus, non, c'était leurs visages. Les visages de ceux qu'elle avait tué. Ou en tout cas, les quelques visages de ceux que son esprit avait imprimé malgré elle.
"Leurs visages, c'étaient.. c'étaient si vrai." Depuis le début de la guerre, Oksana avait participé à de nombreux combats parce que c'était une excellente combattante. Elle maniait le sabre comme si celui-ci était une extension d'elle-même, en plus de quoi c'était une dualiste hors pair. Aleksander lui-même l'avait choisi pour le rejoindre. Oksana n'était ni faible, ni le genre de fille à s'apeurer pour un rien, elle faisait toujours preuve de vivacité et d'intelligence dans les décisions à prendre et elle ne perdait que très rarement son sang froid, au contraire même. Elle avait fait ses preuves, sauver la vie de certains de ses congénères et prenait plus qu'à cœur leur cause. Mais une chose s'était dessinée, sinueuse, ces derniers mois. Elle n'aimait pas tuer et même si elle essayait de faire fi de cette évidence, elle ne pouvait s'empêcher de penser à ceux et celles à qui elle avait ôté la vie. Pourtant, jamais avant cette nuit-là elle n'avait fait de cauchemars aussi bouleversants.
"Ce n'était qu'un cauchemars Oksana, qu'un cauchemars." Murmura Franz d'une voix rassurante tout en lui caressant doucement la tête, ses doigts froids s'attardant sur ses joues en feu. Assis sur le coin de son lit, elle s'était réfugiée dans ses bras dès qu'elle avait ouvert les yeux et qu'elle avait vu Franz à ses côtés. En temps normal, elle se serait sentie tout à fait ridicule mais sa présence était réconfortante et il parvenait lentement à calmer ses terreurs. Blottie et recroquevillée contre son torse, elle ne put s'empêcher de repenser à ce corps mutilé qu'elle avait vu. C'était lui. Et la douleur fictive qu'elle avait alors ressentie lui transperça soudainement le cœur.
"Toi aussi, t'y étais.." souffla-t-elle avec grande peine.
"Mort, tu étais mort.. " sa voix se brisa au dernier mot. Depuis le début de la guerre, tous deux ne s'étaient pas quittés. Pas une seule fois. Elle avait besoin de lui, tout comme lui d'elle. Ils s'étaient à plusieurs reprises sauver mutuellement la vie, mais il n'y avait pas que ça. Ils s'étaient rapprochés depuis l'année dernière, à leur manière certes, mais ils étaient devenus proches, se comprenant sans besoin de mots. Et puis, il l'aidait à rester humaine, à rester la jeune adolescente qui se plaisait à le rendre fou et à le taquiner il y a encore peu de temps, avant que la guerre ne les fasse vieillir d'une dizaine d'années en à peine quelques semaines. Elle ne veut pas que l'Oksana du passé ne disparaisse à jamais et qu'elle soit remplacée par une copie plus dure, plus terre à terre, qui ne pense plus qu'à la guerre. Pourtant, c'est ce qui est en train de se passer. Par sens du devoir et parce qu'elle se bat pour des idéaux, Oksana ne sera bientôt plus que régie par les tourments de cette fichue guerre. Et si l'idée d'y laisser sa vie était une idée qu'elle avait fini par accepter, celle de perdre Franz était inconcevable. Quelques larmes discrètes perlèrent le long de ses joues.
"Regarde-moi." lui intima-t-il posément tout en posant quelques doigts sur son fin menton pour lui faire relever la tête.
"Je serai toujours là. Que tu le veuilles, ou que tu ne le veuilles pas même." Elle esquissa un léger sourire tandis qu'il essuyait du bout des doigts ses dernières larmes.
"Cette guerre ne nous séparera pas, je te le promet." Elle acquiesça de la tête et il déposa un baiser sur son front. Alors qu'il se relevait lentement afin de la laisser se rendormir, elle le retient par la main.
"Tu peux rester ? S'il te plait." Elle le regarda de ses pupilles encore brillantes presque suppliante. Elle redoutait de devoir refermer les yeux, de peur que son esprit ne lui refasse ce mauvais tour.
"Bien sûr." dit-il avec douceur. Le lit n'était pas très large mais suffisamment pour qu'il puisse s'y glisser auprès d'Oksana. Se blottissant contre lui, il passa un bras autours d'elle, attendant qu'elle trouve le sommeil pour pouvoir se rendormir.
(Durmstrang, hiver 1613)
(✰) Le combat fait rage depuis déjà trois jours sans interruption, les corps tombent sous le coup de sortilèges qui ne laissent aucune chance de survie et les bruits des épées s'entrechoquant résonnent dans l'étendue glaciale du champ de bataille. Cela faisait bien longtemps qu'Oksana ne comptait plus les mois depuis lesquels elle avait rejoins l'armée des Guerriers de l'écarlate ; armée pour laquelle elle agissait alors qu'elle était encore chez les slaves. A l'époque, elle s'était enfuie peu avant qu'on ne découvre qu'elle était devenue une espionne et donc qu'on ne découvre sa trahison. Elle s'était simplement volatilisée dans les airs, emportant avec elle quelques dernières informations.
Et le laissant derrière elle. Depuis, elle avait été acceptée parmi les sorciers de Poudlard malgré son ancienne allégeance parce qu'elle se combattait avec autant de vigueur, voir plus, pour eux. En faite, elle ne faisait plus que ça. Se battre. Se battre pour eux. Se battre pour le gamin qui avait donné sa vie et qu'elle n'avait pu sauver. Alors oui, elle ne comptait plus les mois, le temps lui-même s'était comme figé depuis son départ de Durmstrang.
Depuis leur séparation. Elle ne dormait presque plus, préférant accumuler les tours de garde avant de devoir céder sa place, presque forcée, pour aller dormir ne serait-ce que quelques heures pour reprendre des forces. Mais ses rêves la ramenaient inlassablement à lui comme une ancienne et mélancolique ritournelle. Et à son réveil, la réalité n'était que trop insupportable.
"Baisse-toi!" hurla soudainement Oksana à l'un de ses compagnons, un garçon d'environ quinze ans, avant de bloquer le sort avec sa baguette et de relancer d'un geste vif et précis un "Expelliarmus" dans la direction du sorcier bulgare. Celui-ci grogna de rage, ne semblant pas apprécier de se faire désarmer ainsi, et il s'élança d'un pas lourd vers les deux jeunes sorciers en brandissant une masse au-dessus de sa tête. Sans réfléchir, Oksana poussa le jeune garçon sans ménagement, évitant qu'il ne serve de cible pour l'homme, et elle tira rapidement de son fourreau son sabre. Juste le temps de se mettre en position de défense conte la masse qui fendait sur elle. Les coups du sorcier étaient puissants et Oksana avait bien du mal à les soutenir mais il manquait cruellement de précision et d'agilité dans son jeu de jambes, elle était donc bien plus rapide que lui. Féline, elle esquivait coups après coups, le forçant à perdre patience et à devenir moins prudent. Suffisamment pour que, à un moment charnier du combat, elle ne perce sa défense et ne lui assène le coup fatal. Du sang gicla sur son visage déjà rougi par le froid qu'elle essuya machinalement d'un revers de manche. Elle venait de tuer un de ses anciens compagnons, peut-être même avait-elle déjà combattu à ses côtés. C'était toujours la même pensée. Et puis, elle se disait, violemment, qu'il aurait pu être
lui. Que lui aussi pouvait être tué à n'importe quel moment et que se passerait-il s'ils se retrouvaient en face l'un de l'autre ? La dernière fois qu'ils s'étaient vus, il savait tout. Et jamais, ô grand jamais elle n'avait lu autant de colère et de haine dans son regard. Celui dans lequel elle aimait tant se plonger auparavant. Elle l'avait brisé, elle avait tout brisé entre eux. Il devait tant la détester. Elle-même se détestait de l'avoir trahi. Pas leur camp, non, si c'était à le refaire elle le referait, mais l'avoir trahi lui. Involontairement, il l'avait aidé à avoir accès à des informations secrètes et ce pendant des mois. Bien sûre, elle avait toujours fais en sorte qu'on ne remonte jamais à lui parce que si ça se savait avant qu'elle ne puisse s'enfuir, c'était à elle d'en subir les conséquences et rien qu'à elle. C'était son fardeau, non le sien.
Secouant la tête pour chasser sa peine, elle se tourna vers le garçon qui était resté à terre et lui tendit la main pour l'aider à se relever.
"Fais attention à tes arrières la prochaine fois, d'accord ?" Son ton était un peu dur mais le garçon secoua positivement la tête et accepta sa main tandis que la sienne tremblait. Il ressemblait tant à ce garçon qu'elle avait connu, les mêmes traits, le même regard, un peu plus vieux certes mais le même visage enfantin. Cette guerre n'était pas pour eux, ils étaient trop jeunes pour affronter la mort, pour se lever chaque matin tout en sachant que c'était peut-être leur dernier levé de soleil. Pourtant, et contrairement à ce qu'elle avait connu, tous étaient volontaires pour combattre pour leur école, quitte à en perdre la vie. Comme lui. Elle sait qu'elle n'aurait jamais du s'y attacher. Pourtant, il lui rappelait tellement Allistair dans son plus jeune âge ; Allistair dont elle n'avait plus de nouvelle depuis presque deux ans, elle ignorait même s'il était encore en vie ou non, mais elle l'espérait. Elle espérait revoir un jour son minois de garnement. Le garçon murmura un faible "merci" avant qu'ils ne doivent tout deux repartir au combat.
Le jour tombait sur la pleine enneigée, réduisant dangereusement la luminosité, obligeant Oksana à redoubler de vigilance et à rester sur ses gardes. Le combat était toujours ardent et les combattants davantage sur les dents. Alors qu'elle esquivait de peu un lâche coup et qu'elle assommait le sorcier à l'origine de celui-ci, une scène attira tout particulièrement son attention un peu plus loin. Une scène qui la fit méchamment grimacer. C'était le jeune garçon de tout à l'heure. Quatre sorciers étaient agglutinés autours de lui, l'arme à la main, avec une intention toute dessinée pour Oksana. Avant qu'elle ne puisse lancer ne serait-ce qu'un sort pour détourner leur attention, un des sorciers enfoncèrent son épée dans le thorax du garçon qui hurla sous la douleur.
"NOOOON!" ragea Oksana. Elle s'élança, sabre à la main, se frayant un chemin parmi les sorciers pour les atteindre. Le premier eut à peine le temps de se retourner qu'Oksana lui enfonça la lame dans le dos avant de retirer avec force le sabre pour asséner un second coup au sorcier le plus proche. Elle lutta contre les deux autres, évitant les coups, esquivant les attaques répétitives, mais, soudainement, ils se retrouvèrent rejoints par d'autres sorciers et dans un dernier coup, à celui qui avait enfoncé son épée dans le corps du jeune garçon, elle se retrouva, impuissante, maîtrisée. Alors qu'elle s'attendait à recevoir le coup fatal, une voix s'éleva.
"Tient, tient, tient, mais qui voit là. Oksana Karénina. C'est que ça faisait longtemps qu'on ne t'avait plus vu ma chère." Elle leva, médisante, les yeux et une silhouette apparue, se frayant un chemin entre les bulgares. C'était un des hommes d'Aleksander, un de ceux qu'on oublie pas.
"Mes amis, je vous présente une chienne de traîtresse." Certains hommes crachèrent aux pieds d'Oksana tandis qu'elle ne quitta pas des yeux le sorcier. Il était hors de question de montrer un quelconque signe de faiblesse. Si elle devait mourir de leurs mains, soit, mais elle ne s'abaissera pas aux supplications. Un sorcier proposa de l'égorger vive dans l'instant mais l'autre le fit taire d'un geste de la main.
"Non, j'ai une bien meilleure idée. Amenons-la à notre chef. Je pense qu'il sera ravi de te revoir." Les mines de dégoût furent aussitôt remplacés par des gras éclats de rire. Ils comptaient l'emmener directement à Aleksander Romanov. Tandis que l'un des hommes lui prit son sabre et sa baguette, laissant traîner ses répugnantes mains en quête d'une arme cachée, son regard s'attarda sur le corps mort du garçon. Elle avait encore échoué lamentablement. Et maintenant son heure était venue.
Elle fut traînée sans ménagement jusqu'au camp des Aquilons et en peu de temps qu'il en faut, ils pénétraient déjà sous la tente d'Aleksander.
"Général, nous l'avons retrouvée, cette chienne de traîtresse." Maintenue par deux hommes, un sur sa gauche et l'autre sur sa droite, elle planta son regard dans celui de son ancien commandant.
"Ma foi, c'est que vous en aurez mis du temps. Comme quoi, ce qu'on raconte sur vous surestime la réalité." Ses mots claquent d'insolence pour son plus grand plaisir tandis qu'elle repère Juliana Udinov encore et toujours à ses côtés, grognant férocement aux paroles qu'Oksana vient d'adresser au Romanov.
"Oh et quel déplaisir de te revoir Juliana." se moque-t-elle face à la sorcière avec laquelle elle a toujours entretenu des rapports conflictuels et où tout n'était que rivalité et coups bas entre elles. Soudain, Aleksander mima un furtif geste qui la laissa pendant quelques secondes perplexe avant que sa signification ne vienne la brutaliser de plein fouet. Un des hommes qui la tenait venait de lui asséner un puissant coup de poing dans le ventre, la faisant trembler de tout son corps, ses jambes manquant de la lâcher, lui coupant momentanément le souffle.
"Bien, je préfère cela." dit-il froidement face au silence qu'il lui avait imposé. Il s'avança lentement vers elle de telle sorte de faire durer une mort imminente. Oui parce qu'elle savait le sort qu'il réservait aux traîtres, alors n'étant pas tombée de la dernière pluie, elle savait par conséquent quel serait le sien. Et elle l'acceptait. Comme elle avait accepté les risques il y a de ça quelques années en trahissant son camp. Et bien qu'elle aurait préféré mourir sur le champ de bataille, elle avait déjà envisagé une telle mort. Peut-être pas de la main même d'Aleksander, mais mourir pour faute de trahison, oui. Et elle en était fière. Fière d'avoir combattu contre lui et contre ceux de sa même espèce. Le voilà. Elle releva le buste, douloureusement certes, afin d'être bien droite face à lui, comme lui avait appris sa mère dans sa jeunesse, et planta de nouveau ses iris mordorées dans son regard afin qu'il se souvienne d'elle. Qu'il se souvienne qu'elle n'aura jamais fléchie devant lui, même au moment de sa mise à mort.
"Finissons-en." siffla-t-elle de manière à ce que seul Aleksander puisse l'entendre. Et il enfonça d'un geste sûr, presque technique, son épée à l'endroit même où elle avait reçu le coup de poing. Profondément. Très profondément. Avant de la retirer tout aussi lentement pour qu'elle puisse savourer mortellement le prix de sa trahison. La douleur, d'abord simple piqûre, s'insinua, lancinante, tout le long de son corps, paralysant ses membres un à un. Elle essaya avec dignité de retenir le cri d'agonie qui se formait au creux de son estomac mais son corps ne commençait déjà plus à lui répondre. Ses jambes l'abandonnèrent définitivement et elle tomba lourdement au sol sur ses genoux, une main posée là où l'épée avait fait son oeuvre. Son visage se mut lentement en une grimace de douleur qu'elle tentait de retenir. En vain. Elle sentait la mort l'envelopper, la chérir entre ses bras, attendant l'heure fatidique pour la faire sienne. Mais elle voulait résister, leur crier que jamais ils ne vaincront mais aucun son ne sortait de sa bouche dont un filet rougeâtre et amer commençait à s'écouler.
"Général, nous avons un problème sur le côté ouest qui requière votre présence." La voix commence à se faire lointaine, comme un échos, tout comme les nombreux bruits de pas qui s'éloignent et elle se sent sombrer lentement dans une torpeur finale de laquelle elle ne reviendra pas. Et puis, pour une toute dernière fois, son visage lui apparaît. Son doux visage. Un souvenir lui revient comme un dernier chant d'amour avant que les ténèbres ne l'engloutissent. Leur premier baiser. Le contact fiévreux et passionné de ses lèvres contre les siennes, la tendresse de ses mains posées contre ses joues et son souffle chaud contre sa nuque. Elle l'aura aimé jusqu'à la fin. D'un amour tendre et pur. D'un amour qui l'aura fait vivre malgré tout. Une dernière larme coula le long de sa joue froide avant qu'elle ne rende son dernier souffle.
(camp des Aquilons de Glace, sur le lieu d'une bataille opposant les troupes de Poudlard et de Durmstrang, printemps 1616)
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vous êtes beaux à en mourir, c'truc de guedin 
Bienvenue et bonne chance pour la suite de ta fiche 
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