Recroquevillée dans un coin de la cellule, avec des dizaines de personnes dont le visage m’est inconnu, je suis incapable d’associer un prénom à un seul de ces visages. Je suis incapable de dire quel jour nous sommes, en quel mois je suis, je crois que nous sommes toujours en 1616, je crois que ça va faire quatre mois que j’ai été enfermée aussi. Je suis incapable de le dire avec exactitude, tout ce que je sais, c’est que les jours passent, sans que je m’en rende compte. Et je me pose des dizaines de questions, comme tout le monde : viendra-t-on nous délivrer un jour ? Sommes-nous condamnés à mourir dans la souffrance, la faim et le froid ? Mais je m’efforce de garder le sourire, il est comme gravé sur mon visage, comme si j’étais incapable de quitter ce sourire.  « Pourquoi tu souris comme ça ? » J’aurais dû répondre que c’est parce que je savais qu’on nous délivrerait. Sauf que personne ne vient.  Arrête d’espérer, personne ne viendra jamais. Me crie ma conscience mais je ne peux m’y résoudre. Poudlard va finir par gagner cette guerre, tout cela va s’arrêter et nous pourrons vivre, nous reconstruire et enfin être heureux. Même si les marques de la souffrance que nous endurons constamment ne s’effaceront jamais, je sais que nous sommes tous assez fort pour surmonter ça. Je ne crains qu’une chose, mourir. Me réfugier dans ses ténèbres si accueillantes qui me tendent les bras un peu plus tous les jours. Seulement, je ne peux pas mourir, je suis trop jeune, je n’ai encore rien vécu. Par contre, j’aurais vu toute la douleur que peut causer la guerre, j’aurais vu mille fois la mort, j’aurais été tentée de sombrer, de m’endormir pour ne plus jamais ouvrir les yeux sur une nouvelle journée de souffrances. Mais jamais je ne me serais laissé aller. Je veux revoir mes parents, mes frères, leurs sourires, je veux sentir le soleil et la pluie sur mon corps. Et surtout, je voudrais le revoir, au moins une dernière fois, je le vois encore en première année, me défendre contre les gens qui se moquent de moi…

Qu’est-ce que je leur ai fait ? Pourquoi s’en prennent-ils à moi ? Que leurs-ai-je donc fais ? Rien du tout, est-ce parce que je suis une poufsouffle ? Ou alors une sang-pure à poufsouffle ? Non, ce n’est pas possible. Dommage que mes frères ne soient pas là, je vais encore me retrouver dans ma chambre, à pleurer toutes les larmes de mon corps. Pourquoi ne suis-je pas plus forte ? Comme ma très chère mère, une femme de caractère qui sait diriger la famille lorsque mon père n’y est pas. Je l’ai toujours admirée mais jamais, ô grand jamais, je ne deviendrais comme elle. Je n’ai pas le caractère qu’il faut pour être à sa hauteur. Les larmes me montent déjà aux yeux alors que j’entends les rires lointains de mes persécuteurs et des élèves qui regardent la scène. J’entends le bruissement des vêtements d’un garçon qui vient de se placer devant moi. Je relève la tête pour voir de qui il s’agit, je ne pense pas le connaître mais j’ai retenu son prénom, il se nomme Kazran, nous sommes tous les deux en première année. Je l’ai retenu car jamais je n’avais entendu ce prénom. Je sais aussi qu’il est dans la maison Serpentard. Pourquoi me défendrait-il ? Et pourtant, c’est ce qu’il fait. Je n’entends que des bribes de phrases, comme si j’étais dans une bulle, comme si je vivais cette scène de loin. Je vois les gens autour de nous se disperser en chuchotant, et mes persécuteurs qui partent en rigolant, se tapant dans le dos. « Kazran… » Je ne sais pas trop quoi dire, j’ai du mal à parler, les larmes menaçant de couler sur mes joues. Ma voix est enrouée par mes larmes imminentes. « Je… Merci… » J’arrive à bafouiller, entre le haut et le bas avant de laisser couler mes larmes, sans que je le veule. Il ne part pas tout de suite, me regardant. « Pourquoi tu pleures ? » Je secoue la tête sans répondre mais il est là, il essaye de me faire rire pour que j’arrête de pleurer et ça finit par marcher. Je souris en le regardant et au fond de moi, je sais que nous serons amis, pour le meilleur et pour le pire.

Je me raccroche à ce souvenir, c’est l’un de mes meilleurs mais surtout, c’est le premier que j’ai avec lui. J’ai de la chance de l’avoir rencontré ce jour-là, je n’ai jamais su pourquoi il avait tenu à m’aider, à me défendre mais je lui en suis terriblement reconnaissante. C’est une amitié à laquelle j’ai donné peut-être plus d’importance que ce que j’aurais dû. Je ne sais pas mais en dehors de mes frères, il devait être l’un des seuls à qui je faisais réellement confiance. Alors j’aimerais le voir apparaître un jour, accompagné de beaucoup d’autres pour nous délivrer. Je rêve de revoir son sourire, de le prendre dans mes bras, de lui dire que ce n’est pas sa faute, tout ça. Parce que je sais qu’il y pense. Pour lui, je ne suis que sa meilleure amie, sa sœur de cœur, une fille sans défense qu’il se devait de protéger. Alors que pour moi, il était bien plus que ça, beaucoup plus. J’aurais aimé pouvoir lui avouer ce que je ressentais, mais pourquoi ? Il n’avait d’yeux que pour Briséis au début, d’ailleurs je m’en veux tellement… Nous avons eu une dispute juste avant qu’elle parte pour ne jamais revenir. Partagée entre ma joie d’avoir Ka pour moi et la tristesse de perdre une amie, je m’en suis voulu toute ma vie. Un jour, j’ai voulu lui avouer, à mon meilleur ami. Seulement, une autre fille est entrée dans sa vie, la petite amie de Septymus. Savait-il au moins que c’était peine perdue ? Qu’il n’aurait très certainement jamais cette fille pour lui ? J’avais souvent pleuré à cette pensée, dans les bras de mes amies. Elles m’avaient dit de tout lui avouer. Mais c’était impossible pour moi. Seulement, quand je serais libre, je lui dirais, tant pis. Je retrouverai ma famille et ma petite vie tranquille, je finirais ma scolarité, je recommencerais une année s’il le fallait et je deviendrais guérisseuse, comme j’en ai toujours rêvé. […] Que se passe-t-il ?! Il y a un vacarme monstre et les prisonniers sont tous en train de s’agiter, je me relève, sans trop comprendre la situation. J’interpelle la personne la plus près de moi, elle doit avoir mon âge, tout au plus. Elle me répond à mi-voix. « J-Je crois que c’est fini.. » Est-ce même possible ? Je n’avais pas perdu espoir et pourtant, j’avais du mal à croire à ce qu’elle disait. On peut enfin sortir, on est ballotés dans tous les sens, ce serait presque l’anarchie. Je ne fais même pas attention à mes jambes meurtries et douloureuses. Je ne sais pas comment elles peuvent encore me porter, peut-être est-ce le fait que la liberté se trouve à portée de mains. En un rien de temps, on se retrouve dehors, cibles pour les sorciers qui nous ont tenus prisonniers pendant si longtemps. Eviter les sorts de chaque côté, ce n’est pas le plus facile que j’ai eu à faire, je l’avoue. Je cherche du regard, j’observe la foule, les sorts qui sont jetés, certains s’arrêtent, car nous sommes là. Et là, je le vois : Kazran. Je cours vers lui, et me jette dans ses bras, je n’en peux plus. Il est là, il est vraiment là. Il semble aussi abasourdi que moi. « Kaz… » J’ai la voix qui tremble, je m’éloigne de lui, on évite les sorts du mieux que l’on peut. Mais, je suis trop absorbée par lui, sa présence. Je le retrouve enfin. Je veux lui dire. Je vois à peine du coin de l’œil le sort se diriger vers moi. J’ai à peine le temps de lui souffler un « je t’aime… » D’une voix faible avant que le sort ne m'atteigne.

Je l'ai encore vue, entourée des ténèbres de mon coeur. Sauf que cette fois-ci, elle a bougé. Elle n'était pas simplement une image crée par mon imagination, une poupée figée dans de la glace alors alors que les flammes des ténèbres s'attaquent à elle, essayant de la faire tomber. Elle bougeait, elle dansait pour être précise. Princesse au cheveux en bataille et au corps tatoués de bleus, tu danses comme si la vie se résumait à ça. Pour toi, la vie est une danse où se mêle joie et bonheur, où tu finis toujours par te relever. Tu as déjà chuté, mais toujours, tu t'es relevée. Jamais ton sourire ne t'a quitté. Je ne sais pas qui tu es, Neriah, mais je le découvrirais. Ange qui ne demande qu'à retourner dans les cieux. Je me lève, je ressemble à un zombie, mais je ne retomberai pas dans les bras de morphée, malheureusement. Je sors un album photo caché en dessous de mon lit. J'effleure la reliure rouge du bout des doigts, un mince sourire prend place sur mes lèvres.  Cet album a grandi avec moi, toutes mes photos sont là dedans. J'ouvre et sur la première page, je vois une photo de mes parents et une petite fille avec des nattes, c'est moi. Nous marchons sur la plage près du manoir où nous vivons. Je devais avoir cinq ans à l'époque.  

L'odeur iodée de la mer effleure mes narines tandis que des vagues viennent mourir à mes pieds, mon rire vit durant quelques secondes dans un écho lointain. C'est la première fois que je passe du temps avec mes parents, sans que mon père ne me fasse une réflexion sur le fait que je dois le rendre fier. Je me retourne, ayant entendu un autre rire que le mien. Je cherche quelqu'un d'autre mais ne trouve personne. Et en fermant les yeux, allongée sur la plage, ignorant les protestations de ma mère, je vis une fille. Elle ressemblait à une de mes ancêtres, il y a très longtemps, peinte et accrochée au manoir. Elle était vraiment jolie, elle n'était pas seule. Ici, sur la plage, avec des amies à elle en train de parler de tout et de rien. Je n'avais pas peur. Elle n'avait pas l'air méchante. En ouvrant les yeux, tout disparut et je ne pus que voir le regard courroucé de mon père, certainement déçu que j'ignore les protestations de ma mère et que j'agisse comme si je n'étais pas l'héritière de la fortune familiale et du poids des responsabilités qui allaient avec.

Je soupire, me rappelant ce souvenir. Mon père ne fut jamais un père aimant, je reçu à peine de l'affection de ma mère. Je sais qu'il aurait préféré avoir un fils pour perpétuer la lignée des Asher, seulement suite à une complication lors de l'accouchement, ma mère n'est plus capable d'enfanter. C'est dommage, j'ai longtemps rêvé d'avoir un frère ou une soeur. Enfin bon, c'est aussi ce jour-là que j'ai vu Neriah pour la première fois. Seulement à cet âge, je me suis dit que c'était juste le résultat de mon imagination débordante. Je ne l'ai d'ailleurs plus vue pendant des années. La seconde fois, ce fut peu avant mon entrée à poudlard, lorsque j'avais reçu la lettre. Entourée de trois garçons plus âgés qui la prenaient dans leurs bras, l'écrasant presque sous eux, l'empêchant de parler tant ils parlaient forts. Cette vision n'a duré que très peu de temps, je me suis réveillée dans ma chambre. Enfin bon, je ne dois pas encore penser à elle aujourd'hui. Je tourne la page et je vois alors une magnifique jeune fille, brune tout comme moi. Elle marche en compagnie d'autres filles. C'est ma cousine, Peah Greyjoy. Il m'a fallu du temps pour l'aborder.

Je la regarde, elle marche avec ses amies, se dirigeant très certainement vers le parc vu le beau temps qu'on a la chance d'avoir aujourd'hui. Le soleil brille et il n'y a qu'une légère brise. Je la suis, tête baissée, n'osant pas vraiment l'aborder. J'ai découvert depuis quelques années déjà que cette jeune fille, un an plus âgée, est ma cousine. Je ne l'ai jamais connue car ses parents ont été reniés par la famille, enfin bon, c'est une longue histoire. Assise contre un arbre, en train de parler, un grand sourire aux lèvres, c'est vrai qu'elle est jolie, comme toutes les femmes de la famille en fait. Je m'approche d'elle, serrant mes livres contre moi.  « Peah? E-Est c que je pourrais te parler s'il te plaît? » Elle me regarde, surprise avant d'hocher la tête et de me suivre. Nous nous éloignons de son groupe d'amies, qui recommence à chuchoter alors que nous marchons. Je ne sais pas trop comment aborder la chose avec elle. Je ne peux pas lui lancer ça au visage et m'en aller, si ? Si seulement je n'avais pas trouvé cette ancienne photo de famille, jamais je n'aurais fait des recherches, et surtout, je n'aurais pas ce problème. « Pourquoi sommes-nous ici? »   Je la regarde et baisse la tête, mes cheveux cachent mon visage. « C'est pas trop facile à dire non plus, mais je suis ta cousine. » Il a suffit que je prononce mon nom de famille pour voir ses yeux s'écarquiller et elle, partir, rejoignant ses amies. Ai-je donc dis quelque chose de mal?

Depuis, à chaque fois que j'essaye de lui parler, elle m'évite, trouve une excuse pour s'éclipser, pour ne pas me parler. D'après mon père, je ne dois pas l'approcher car c'est une bâtarde. Mais, je m'en fiche moi, de la nature de son sang. Elle reste ma cousine par le sang. Enfin bon, je passe des pages dans l'album, la plupart sont des photos familiales, des portraits, des paysages, des photos avec mes camarades de classe, avec d'autres filles de poudlard. Coincée entre les pages, il y a une photo à laquelle j'accorde une grande importance sans vraiment en connaître la raison. C'est un garçon dans la même année que moi : Alcide Oliver. J'ai envie d'aller le voir, de lui parler, de l'approcher, d'apprendre à le connaître. Une envie irrépressible. Comme si Neriah, cachée au fond de moi, essayait de sortir pour rejoindre ce garçon. Qu'a-t-il d'exceptionnel ? Ressemblerait-il au Kazran que j'entends dans mes rêves ? Je me souviens d'un jour... Il se faisait, comme d'habitude, embêté par d'autres élèves, c'était une scène devenue presque commune pour lui, je crois. Pour une fois, au lieu d'ignorer ce qu'il se passait, je me suis retrouvée à observer ce qu'il se passait, au premier rang. J'étais triste pour lui. Qu'avait-il fait pour mériter ça ? Être trop gentil peut-être? Quand nos regards s'étaient croisés, j'ai senti un frisson dans mon échine, entendu une voix dans ma tête. Kaz... Neriah revenait. Et c'est là que je l'ai vu se relever, baguette en main, un air menaçant sur le visage, avant de partir en courant. Je l'ai suivi ce jour-là...

A bout de souffle, je m'arrête dans le couloir, il est là, en face de moi. Il a l'air aussi mal que moi. Je m'approche de lui, doucement. Mon esprit m'a hurlé de le suivre, alors que ma raison m'obligeait à rester sur place, mon corps a décidé à ma place et s'est élancé à sa poursuite. Je ne connais pas ce type mais au fond de moi, j'ai envie de le connaître, j'ai envie d'être proche de lui. « Alcide, tout va bien? » Il se retourne vers moi et je vois la surprise s'installer dans ses yeux. « Que fais-tu ici ? » J'ai l'impression que je ne devrais pas être ici, qu'il ne veut pas me voir là. « Je suis venue voir si ça allait... » Je baisse la tête en reculant un peu avant de voir qu'il s'était éclipsé, aussi vite que ses jambes pouvaient le porter. Je promets qu'un jour, je le coincerais et je le forcerais à me parler. Enfin, je suis pas assez méchante pour faire ça mais je trouverais bien un moyen de lui parler un jour.


Je vois une des filles du dortoir bouger et je me décide à éteindre la lumière, je ne sais pas combien de temps j'ai passé à regarder l'album photo mais jamais personne ne doit découvrir son existence. Je le replace en dessous de mon lit et me recouche. Bientôt, une nouvelle journée va arriver, à devoir sourire et faire comme si tout allait bien. Chouette. Encore une super journée. Bon, peut-être que je vais réussir à leur parler, on verra..