Le sol est recouvert de pétales blancs.
L'air, chargé de leur délicieux parfum floral tandis que le ciel, lui, d'une multitude d'oiseau de printemps. Un nuage de fumée s'échappe de sa bouche. Tranquille. Une sorte d'ange s'y dessine, les ailes déployées. S'élevant lentement mais rapidement balayé par le vent de ce début de journée. Un autre se créé déjà, au plus profond de lui. Encore, ses doigts vibrent au tempo de la musique quelques accords rapidement improvisés. Une guitare sur les jambes, il trouble le silence. Léger sourire de l'abandon, il fredonne cet air, d'une musique si connue.

Le soleil joue de sa lumière sur le saule caressant sa nuque d'une agréable douceur éphémère. L'instant se veut apaisant. Les accords se suivent jusqu'à ce que son doigt glisse. Il divague et s'oublie. La musique devient grinçante. Horripilante. Pourtant un sourire enfantin se dessine sur les lèvres de l'adolescent. Un rire ravit brise l'instant. Il sourit de sa connerie. Du son horrible que produit la musique. Jusqu'à en faire tomber sa clope. Incandescente, elle glisse et se niche dans les plis du jean.  
Le regard se perd. L'atmosphère se tend alors que les cendres chaudes s'éprend du tissu. Une fraction de seconde. Puis le corps immobile s'anime de violence. La guitare vient violemment s'échouer contre l'herbe tendre du parc. Excès de rage incontrôlé, les mâchoires se crispent alors qu'il ferme les yeux. Les mains enfuies dans ses cheveux, enserrant son crâne à l'en brisé, sa colère explose.

Et il y a cette voix. « Ca va chéri ? » La voix de sa mère lui apparaît lointaine. Au delà des frontières. Fantomatique tant le rire cristallin d'un esprit malin emplit son esprit. Au bord du gouffre. La folie éclate et éclabousse les murs immaculés de sa raison. «... ferme ta putain de gueule. » Loin d'en être offusquée, sa mère le regarde. L'observe sans vraiment le voir. Habituée à être ainsi traitée, elle ne relèvera pas. Elle tournera les talons. Comme toujours. Le visage crispé. Et elle ira s'enfermer dans sa cuisine, pour téter son wisky, laissant son fils ainsi prostré. Sans jamais se soucier de ses travers, elle qui se disait une bonne mère. Fermer les yeux pour éviter de voir les dégâts d'une enfance négligée.
Aujourd'hui pratiquement adulte, sans aucune emprise sur lui, tout ce qu'elle peut faire, c'est regarder et accepter. Accepter les excès de rage. Les excès de colère. Ses débâcles amoureuses. Ses penchants malsains pour les hommes ainsi que ses travers pour les cigarettes et autres conneries en tous genres. Lui, qui, autrefois, n'avait de cesse de lui demander « c'est qui Alphonse ? » Son fils qui s'imaginait être la princesse de son prince « Alphonse, c'est mon prince !» A son image « Alphonse, il est comme moi d'abord ! »  Mais avec une famille apparemment plus tendre « dis, pourquoi tu m'aimes pas comme la maman d'Alphonse ? » Demande déchirante mais ayant toujours demeuré sans réponse. Aujourd'hui, lui poser la question, savoir qui est finalement Alphonse, un risque que peu de personne prend. A tout jamais rayé, cet ami devenu insulte immonde, n'a plus sa place dans son cœur. Ce fut d'ailleurs lors de son septième anniversaire que tout changea.

L'éternel enfant tendre mais soumit au virulent tempérament de son père s'était lentement éteint. Bien trop occupée avec son apparence, l'argent et son alcool, elle avait fermé les yeux. Elle avait oublié qu'elle avait un fils à s'occuper. Un fils à consoler. Ca lui arrangeait bien qu'il lui disait être protéger par cet Alphonse. Son ami imaginaire. Il l'aimait d'un amour inconditionnel. L'amour qu'il ne pouvait donner aux siens car n'en recevait pas assez de sa propre famille, il le lui donnait. Sans demi-mesure.
Il n'avait que ce prénom à la bouche. Continuellement. Loin de s'en inquiétée, elle l'avait laissé. Sa propre mère. Avec ces délires de gamin hyperactif. Mais cela avait toujours eu le don d'énerver son père. Jusqu'à le rabaisser et le violenter, un peu, juste pour le faire taire. Mais après la nuit de septième anniversaire, plus rien n'avait été pareil pour Rier.

Ce soir là. Les yeux clos. L'esprit ouvert.

Il le sait. Tout commence quand la lumière s'éteint. Le noir abyssal sous ces paupières closes s'installent et il attend. Attend que parte cette saleté de crainte qui court et le rend lentement fou.
Enfant paumé dans les débâcles d'un couple qui s'enchaîne et s'enterre, il sait très bien ce que ça fait que de devoir tenir la corde quand tout s'écroule autour de lui. Encore trop tendre, encore trop jeune, les yeux rivés sur la figure paternel, un idole qui doucement s’effrite. Autrefois adulé, aujourd'hui craint de part ces excès de colère et son indifférence, son amour fait mal. Douloureusement mal. Comme ce soir. Son amour claque. Il résonne et sa tonne. Dans sa tête. Dans son corps. Cuisant et brûlant amour. Marqué sur le visage poupin d'un enfant bancal, doucement il chute de son piédestal.
Soumis aux caprices d'un adulte violent, son regard sombre et chavire dans ce monde d'illusion. Strasses et paillettes. Conneries en barre que sa mère se plaît à entretenir. A s'y vautrer un peu plus. Elle et son monde fait de pyrex. D'une vie jonchée de cadavre de bouteille d'alcool en tout genre. Le sourire affable et le regard vague, elle préfère se tourner vers la réussite de l'entreprise familiale. Préfère sourire face aux objectifs. L'air de rien. L'air heureuse d'exister dans son monde hanté de chimères oniriques. Ca aussi, il le sait.

Délaissé aux bras d'un amour factice, son cœur s'endurcit. Il sombre. Lui qui n'y croit plus alors qu'autour de lui les malheurs s'accordent pour ce faire ce qu'il appel sa vie, un enfer. Ce soir, les coups ne lui font plus rien, il en prend tellement souvent. Loin de l'enfant battu, il est juste le bambin turbulent. Bien trop hyperactif pour son père qui ne supporte plus ces débordements.
Eux qui n'en ont que le nom, les punitions corporelles en seul remède pour calmer ces ardeurs. Alors les hématomes il s'en balle. Il peut les cacher. Comme une peur intestine enfouie sous ses vêtements et un mal qui sans cesse continue de le ronger. Mais la douleur s'appelle maintenant solitude. Il se dit entouré de gens qui l'aiment et qui l'apprécient mais au fond de lui, juste peines et angles arrondis...

Fatigué, le cœur endurcit, il s'abandonne à la fatigue. Porté par la plénitude d'une nuit bien mérité. Il grandit bien trop vite. La tendresse et l'ignorance enfantine a laissé place à l'indifférence. Et il s'oublie dans un univers atypique. Celui qu'il rêve. Souvent. La nuit. Alors que les larmes amers de la colère mouillent son lit, Morphée l’accapare dans une tendre accolade. Bercé au creux de son giron, il s’abîme et se fabrique une vie embellie.
Loin de cette maison de fous où ses parents en sont les rois. Entouré de poupées folles, il a chercher à prendre son envol. Se perdre dans les travers de son esprit. S'enfermant dans des silences criant. Avec son ami imaginaire. Alphonse. Loin des poupées souillées, disloquées, névrosées qui hantent les murs de cette demeure familiale. Mais ce soir, son imagination déraille et s'embraie sur un cauchemar teinté d'une semi-vérité.
La maison s’efface et laisse place, perdu dans le brouillard, à un château qui dresse ses tours et ses créneaux. Petit bijou au sein d'une nature sauvage et fière. Parmi des grands rochers noirs que baise la marée. Il y a la mer. La mer calme, la mer au murmure endormeur. C'est un paysage qui n'a pas de frontières.
Un monde étrange et qui sent bon. Un parfum délicieux. Un fluide semblant venir directement des cieux. Mélancolie amer, ce souvenir à un goût de souffre. C'est chaud. Ca brûle. Pareil à de la poudre à canon qui doucement s'enflamme. Ca pique les yeux et le cœur en émoi, le corps chancelle.

Le vent se lève. Lourd et violent. Les bourrasques affolent les tours du château qui doucement s’effrite. Il penche puis tombe en ruine. Juste le temps d'une inspiration pour le voir perdre de sa grandeur. Pour le voir réduit à l'état de cendre. Et sous un grand ciel gris, dans cette, maintenant, grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, le dormeur y rencontre plusieurs hommes. Sortie de nul part, droit vers lui, ils marchent, courbés.
Chacun d’eux porte sur leurs dos une énorme chimère, aussi lourde qu’un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d’un fantassin romain. Mais la monstrueuse bête n'est pas un poids inerte. Au contraire, elle enveloppe et opprime l’homme de ses muscles élastiques et puissants. Elle s’agrafe avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture. Et sa tête fabuleuse surmonte le front de l’homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l’ennemi.
Chose curieuse... aucun de ces voyageurs n’a l’air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos. Comme s'il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignent d’aucun désespoir. Sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d’un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminent avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.
Et le cortège passe à côté du bambin égaré pour s’enfoncer dans l’atmosphère de l’horizon, à l’endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain. Il s'y voit. Immobile. Subjugué par ce mirage en plein cauchemar, le temps se suspend. Le paysage s’efface, change et évolue pour le laisser seul. Seul avec le corps fétiche d'un gamin désarmé s'arrêtant tout prêt de lui. Juste en face de lui.
Les cheveux éparpillés, le tendre blond vénitien de sa chevelure n'est plus. Filasse et rêche, elle tombe. Mollement sur une épaule décharnée. Pied nu, tête courbé, l'horrible chimère qui le surmonte cache son visage. Mais il l'a reconnu. Reconnu sa démarche. Reconnu la couleur si particulière de ses cheveux. « Alphonse ? »
Sa voix se percute dans le vide qui les entoure. Elle résonne. Etrange. Mais c'est la tête de la chimère qui bouge. Elle qui le fixe de son regard morbide. Gueule déglinguée, la tête explosée, un trou à été creusé sur l'avant de son crâne. L'oreille arrachée, le sang afflue et dégouline le long de son museau. De ces babines. L'ichor des dieux. Se rependant sur ces chaussures. Son pantalon et son visage aux rondeurs de l'enfance. L’effroi le prend aux tripes. Hurler sa frayeur lui semble être une bonne idée. Mais il n'y a que le silence alors que la gueule béante s'ouvre sous ces yeux. Un renard. Un renard vagabond qui s'élance. Le regard fou et carminé. L'enfant amorce un premier geste. Celui de prendre la fuite. Déserter ce cauchemar trop réel.

Fantômes du passé, ils dansent dans son esprit de feu. De tout temps, le traquent, pour mieux se repaître de son âme. Ombres malicieuses qui se jouent de son émoi, leurs visites anxieuses le laissent toujours aux bords des larmes. Il ne peut les saisir, encore moins les chasser. Ils parasites ses nuits. Mais toujours en l'ignorant. Jusqu'à cette nuit. Cette nuit ou l'un d'entre eux semble vouloir le faire succomber. Tomber pour mieux le dévorer. Le pousser au bord du gouffre en prenant l'apparence de son seul ancrage. Pourtant il tente de se raccrocher à quelques souvenirs, comme à un fil tenu menant vers l'éveil.
Malheureusement, l'issue semble inévitable. N'ayant jamais connu douleur semblable, il tremble, il craint. Il a froid et délire devant la terrible terreur de périr. Cette nuit, le mal et la haine l'emportent. Ses faiblesses ont été plus fortes. Les plaies sont trop profondes pour qu'il s'en sorte. Et quand les bras du passeur s’agrippèrent à son corps, ces ongles lacérant ses chaires, il ne voit que cette gueule béante, suintant de salive et de sang. S'ouvrant en large, exposant ces crocs luisants pour mieux se refermer douloureusement sur la peau tendre de son cou.

Gémissements d'inconforts et halètements d'horreur, il s'éveille brutalement. Alphonse l'a dévoré. L'a lacéré pour mieux se repaître de ses chaires. De son sang. De ses membres. Encore un rêve trop réel. Une nuit agitée si semblable aux dernières. Mais tellement plus prenante. En sueur, les larmes coincées entre les cils, il se recroqueviller contre son coussin, car ici maintenant se trouve son seul réconfort. Dans la moiteur de ces draps, dans le silence troublant de sa chambre, bercé par les ricanements vulgaires de sa mère et de ces amies.

Autrefois, ces rêvent racontaient une toute autre histoire. Loin du monstre qu'était devenu Alphonse après cette nuit là. Son meilleur ami. Loin de l'horreur de le sentir dévorer son corps pour  le voler. S'en accaparer. Une histoire sans répit. Une histoire pleine de débris d'un passé pas si enfoui. Une histoire mal finie, un récit qu'il fuit. Comme toujours, c'est l'histoire d'un royaume sans aucun apprêt. Sans pas même un sujet ou pas même un objet. Un royaume vidé d'âmes et empli de regrets. De pleurs et de chagrin. Un royaume qui, autrefois, s'aimait et qui, maintenant, se hait.
La reine brisée, la reine épuisée, n'avait alors de cesse à errer dans l'immensité d'un royaume sans armée. Seule, elle s'isolait. Tantôt dans le château tantôt dans les prés, elle pleurait la vie perdue de son fils tant aimé. Elle avait quitté mari et famille pour rester seule. Seule avec le fantôme des souvenirs de son fils.
Unique et destiné à un avenir prospère, aujourd'hui son esprit n'existe que lorsqu'il est hanté. Aimé des siens et de sa famille, il se prénommait Alphonse. Une véritable fierté pour eux, à l'instar de Rier, ils l'aimaient. Ils l'aimaient tellement que sa mère lui interdisait les alentours du royaume. Jamais il ne devait sortir. Jamais il ne devait se mettre en danger. Tout était fait pour qu'il devienne un jour le roi de ce royaume. Mais pour cet amoureux de la nature et des animaux, il vécut très mal son enfermement.
Pour soulager sa peine, sa mère lui offrit un renard comme animal de compagnie. Petit et malin, tout comme le jeune maître. Mais rien ne changea son violent besoin d'évasion.

Imprudent malgré la mise en garde des siens, il se mit à enfreindre les règles et se plaisait à sortir la nuit. Seul et encapuchonner, les alentours du château n'avaient au final plus aucun secret pour lui et son feu follet. Sortir à l'abri des regards, sans personne pour le surveiller. Une ivresse telle qu'il en abusait, lui qui rêvait de liberté, loin des obligations familiales.
Pourtant, un soir de chasse, rien ne se passa comme prévu. On raconte qu'il se prit une balle. Une balle perdue tirée par nul autre que son oncle. Un puissant chasseur. N'ayant jamais raté une seule de ses proies, le renard couché contre et tout près de son jeune maître, endormit le museau dans la filament d'une chevelure bouclée, se prit une belle en pleine tête avant que cette dernière n'aille finir sa course dans celle de son protecteur.
Une fraction de seconde. Un simple soupir avant que tout ne se termine. Le jeune prince n'en était qu'au commencement de sa vie. Cette dernière, fauchée dans la fleur de l'enfance, on raconte que son âme, entremêlé à celle de son renard, errerait les lieux en quête d'un corps pour y survivre et vivre sa vie si chèrement aimée.

Mais loin de l'âme chaste et pure que décrivait cette histoire, à ce jour, Alphonse devint le cauchemar anthropophage de Rier. Comme un tambourinement fougueux à bout d'haleine, il le revoit, poursuivant la symphonie dans sa poitrine, son cœur se laissant glisser au son de sa doctrine alors que ces lèvres voguaient sur les fourches de ces veines. Soumis. Abandonné à sa violence. Et dans ses yeux s’égermaient ses désirs vermillon. Violent et sauvage. Instinct animal, il pianotait un sentier de baisers immaculé sur sa douce nuque brisée. Comme le loup mesquin s'approchant du chaperon, lapant cette exquise sapidité ferreuse, silencieux, dans toute sa dignité macabre.
Savourant d'abord les membres si soignés. Foie, viscères, muscle juteux. Broyer les poumons. Les nerfs flageolant sous ces assauts calculés. Et le visage enfoui dans sa carcasse désemplie, il le revoit, recueillant aux creux des mains le pistil épargné... l'astreignant contre lui. Ces lèvres flirtant contre la membrane animée de son cœur. Juste une ultime fois. Avec sa langue. Le minauder une dernière fois.

Juste un cauchemar.

Pourtant, Rier, malgré son jeune âge et en cette nuit de septième anniversaire, sait que les mémoires écrivent une seconde vie et que les mythes peuvent devenir réalité. Il suffit d'une seconde pour faire basculer une vie, et d'un seul cauchemar pour gaspiller une nuit. Mais il faut des heures pour reprendre ses esprits et l'éternité pour avoir droit à l'oubli.