Erin Calixte Crane.

« Erin, tu viens avec nous ». Sa voix forte et autoritaire te pousse presque à frémir, mais tu ne détaches pas tes prunelles claires des siennes, désireuse de lui opposer une résistance. Tu sais qu'il voit cette étincelle dans tes yeux, et qu'elle le rend fou de rage, mais tu ne cèdes pas, et te refuses à faiblir. Tu n'es pas d'accord avec ton propre frère, et ce depuis presque toujours. Même enfants, vous ne vous entendiez pas. Lucie, sa soeur jumelle, a toujours été l'intermédiaire entre vous deux, puisqu'il vous était impossible de vous adresser la parole sans vous hurler dessus. Laureline, quant à elle, se cachait derrière toi, et tu n'as jamais cessé de vouloir la protéger de ce frère dont tu as toujours perçu la démence. Il est fou, juste fou, et le simple fait d'être la seule à réellement t'opposer à lui te révolte. Tu es peut-être trop fière, trop bornée, et tu provoques cet être dont tu connais pourtant les pulsions irraisonnées, mais tu ne peux plus t'en empêcher, désormais. Il a cessé d'être un membre de ta famille le jour il a choisi de rejoindre durmstrang, et il a beau essayer de te rallier à sa cause, il n'y parviendra jamais. Tu préfèrerais mourir que de trahir tes convictions pour les siennes. Ironiquement, tu ignores encore que tu mourras. De ses mains, tu mourras fière et insoumise, mais le résultat restera le même : la fin de ta vie, de ton existence. Pour l'instant, tu ne le sais pas, et tu réponds avec conviction. « Tu peux toujours rêver, Robin. Tu n'as aucune autorité sur moi, ni sur Laureline. Pars, et ne reviens jamais ». Tu marques une pause, et sens qu'il est à deux doigts d'exploser littéralement, mais tu t'en fiches. Tu es persuadée d'avoir raison, et d'agir comme il le faut. Tu es sûre, bien trop sûre de toi. « Je ne pleurerai pas ton départ, ni même ta perte. Tu as cessé d'être un Crane depuis bien longtemps. Pars ! ». Tu hurles désormais, et ta colère monte en flèche. On t'a toujours accordé une certaine froideur, qui n'a jamais été incompatible avec ton incapacité à contenir ta colère. Le lys est fier, le lys est royal ; il sort de ses gonds lorsqu'on le bafoue, mais reste dédaigneux lorsqu'on le l'atteint pas. Robin t'atteint, et tu sembles l'atteindre également. Alors que ta voix se brise dans les airs, il s'approche de toi, et empoigne ton poignet. Ses yeux brillent d'une bestialité dépourvue de toute humanité, et tu recules. Tu réalises, tu es allée trop loin. Tu as peur, et tu perds peu à peu le contrôle de la situation. Autour de toi, les évènements s'accélèrent et se succèdent, perdant tout leur sens. Lucie s'interpose, et Robin la gifle violemment. Tu comprends qu'il n'aura aucune pitié à t'éliminer, que tu sois sa soeur ou pas. Il t'incite encore à les rejoindre, et tu refuses, encore. C'est plus fort que toi, tu ne peux pas. Le lys restera insoumis. Il s'approche dangereusement, et tu recules. Les larmes commencent à rouler sur tes joues. Ses yeux se firent, brillants, brûlant d'une haine qui t'était étrangère auparavant. Ce que tu croyais être une dispute routinière se transforme peu à peu en un véritable cauchemar, drame tragique dont tu sembles être l'héroïne. Un rictus haineux apparait sur son visage, et tu bats en retraite, reculant autant que tu peux. Tu ne comprends ton erreur que lorsque ton dos vient heurter violemment la rambarde de la terrasse. Un bref regard derrière toi te suffit pour réaliser que tu es fichue, et ton corps est presque pris de spasmes, de hauts le coeur. Vous êtes au dernier étage du manoir, et cette immensité de vide semble te tendre les bras. Lorsque ton regard croise de nouveau celui de Robin, tu ne le reconnais pas, et la panique achève définitivement sa lente invasion de ton esprit. Tu vas mourir, tu le sens, et maintenant qu'il s'agit d'une évidence, tu aimerais revenir en arrière. Il s'approche de toi, et vos visages ne sont plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Instinctivement, tu plaques tes mains sur son torse, et pousses de toutes tes forces. Dans un dernier accès de désespoir, tu luttes pour ta survie, même si tu sais que ce sera peine perdue. Il est plus grand, plus fort que toi, et la rage qui l'habite n'est pas maîtrisable. Ta voix tremblante s'élève, et tu ne prêtes plus aucune attention aux larmes, ni au monde qui vous entoure. L'ensemble des Crane te regarde perdre pied, et pourtant, personne ne fait rien. Tu n'en veux à personne. Ils le craignent, et quelqu'un doit subir sa colère une bonne fois pour toute. Ce quelqu'un, ce sera toi.

Soudainement, il enlève tes mains de son torse, en un geste violent qui te brisera presque les poignets. Tu gémis de douleur, mais tu n'auras plus le temps de te plaindre, cette fois-ci. Une dernière lueur de démence brille dans ses yeux, et il passe enfin à l'acte. Violemment, sans aucune pitié, il te pousse, et anéantit sans aucune difficulté tes résistances. Tu te sens basculer en arrière, et tu passes par dessus cette foutue rambarde qui n'aura finalement pas su te protéger. Tu épargnes à Laureline un dernier cri d'horreur, et c'est une poupée muette qui s'élance dans le vide. S'en est fini de ta grâce, de ta fierté, de ta colère. Tu n'es plus qu'un bout de chiffon, qui tombe, qui tombe. Ta vie ne défile pas devant toi, et tu ne regrettes pas d'avoir agi comme tu l'as fait. Tu n'en as pas le temps, et ton corps transperce l'air glacé à une vitesse telle que tu ne distingues plus ce qui se passe autour de toi. Tes idées se brouillent, et ta dernière vision sera celle d'un environnement flou, confus, presque irréel. Ton corps ne met que quelques secondes à rejoindre le sol, et tes os se brisent à l'instant même où tu t'écrases. Tu meurs sur le coup, emportant avec toi tes convictions et le bonheur de ta soeur jumelle. Plus rien ne sera comme avant, désormais. La rupture entre les Crane s'achève définitivement, tandis que ton cadavre baigne dans ton sang chaud et vénéneux. Tu ne vois pas Laureline te rejoindre, et pleurer ta mort. Tu ne vois plus rien, désormais. Tu ignores que ce souvenir hantera à jamais ton âme, et que sa réincarnation niera jusqu'à ton existence, simplement pour ne pas finir comme toi. Tu ne sais plus rien, tu ne sens plus rien. Ainsi s'éteint le lys, victime de sa fierté et de son orgueil.


Clove Ireland Crane.

« Regarde, voilà les jumelles Crane ! » ... « Tu crois qu'ils se sont vraiment entretués ? » … « Mais oui, tu te souviens pas de cette histoire de rose, et tout et tout ? Ma mère me lisait ça quand j'étais gamin ! » … « Ah ouais t'as raison » ... « Elles se ressemblent vraiment trop, hein ? » ... « C'est laquelle, Polaris ? Et Clove ? » … « Non mais c'est pas possible de les différencier, laisse tomber » ... « Mais si, c'est simple. Clove, c'est celle qui sourit, et Polaris celle qui fait la gueule » … « ah ouais, pas con ! ».

Agacée, tu dardes tes yeux d'un bleu perçant sur le groupe de première année, qui finit par se taire instantanément. Tu vas leur monter, si « Clove est celle qui sourit », tiens. Désireuse de leur faire comprendre quels sont tes sentiments au sujet de leur petite discussion, tu continues de les fixer froidement quelques secondes, et ils finissent par s'éloigner, à ton grand soulagement. Ta patience a des limites bien visibles, et tu as beau être beaucoup moins solitaire que ta soeur, ta susceptibilité te pousse souvent à te montrer désagréable. Oh, bien sur, cela t'arrive moins souvent qu'à Polaris. Tu te soucies bien plus de l'image que tu dégages qu'elle, et tu as généralement tendance à être un peu plus diplomate – Polaris effraie toute l'école, alors que tu contrebalances un peu cette image. Simplement, lorsque quelque chose t'agace, et que tu n'as rien à gagner de la personne se trouvant en face de toi, ta verve piquante reprend le dessus, et tu sors tes griffes. Rien ne t'énerve plus que ce genre de gamins insupportables et indiscrets, bien que d'un autre côté, tu sois plutôt satisfaite de la tournure des évènements. Tu aimes être au centre des attentions, et même lorsque la conversation ne tourne pas à ton avantage, tu te satisfais ces regards constamment posés sur toi et sur ta sœur. Tu les attires, tu les provoques, et tu fais mine de vouloir les voir disparaître, alors qu'en réalité, tu n'envisages pas ton existence sans la leur. Avec toi, tout se joue constamment dans les apparences. On t'a toujours accordé une certaine prestance, et une véritable grâce naturelle. Ton passé de noble française et ton éducation plus que stricte t'ont suffisamment façonné pour faire de toi quelqu'un qui dégage quelque chose, et qui en a profondément conscience. Le lys joue de sa splendeur, et tu étires un petit sourire victorieux en observant les gamins trop curieux s'éloigner. Ceux la ne reviendront pas de si tôt, et iront dans les minutes qui viennent raconter à tous leurs amis à quel point les jumelles Crane sont étranges. Vous êtes encore au centre des discussions. Pour toi, victoire.

Alors que vous continuez à parcourir les longs couloirs du château, tu couves Polaris d'un regard protecteur. Sa beauté cynique montre clairement à tous qu'elle n'a aucun besoin d'être protégée, mais cela ne t'empêchera pas de veiller sur elle à ta manière. Tu sais, et tu te souviens de la fragile Laureline du passé, celle que tu as connu et aimé tout autant que tu aimes Polaris désormais. Elle les effraie tous, mais tu poses un autre regard sur elle. Ses forces comme ses faiblesses ne te sont pas étrangères, et tu la connais mieux que quiconque. Tu ne la laisseras pas tomber, cette fois-ci. Tu ne mourras pas. Quitte à fuir ton frère ainé qui ne se souvient de rien, quitte à éviter tous les lieux en hauteur, à t'éloigner du vide, tu refuses de l'abandonner une fois encore. Elle ne dit rien, mais tu sais quelle souffrance elle a dû endurer par ta faute. Elle a tellement changé. Au fond, tu aimerais presque parfois retrouver la Laureline d'avant ta mort, joyeuse, guillerette et naïve, celle qui était heureuse, au contraire de la cynique et froide Polaris que tu connais désormais. Oh, bien sur, tu ne cesseras jamais d'aimer et d'admirer celle qu'elle est devenue. Simplement, elle est ta force et ta faiblesse à la fois, et son bonheur sera à jamais le tien.

Les temps changent, et nul besoin d'être un génie pour constater que les rancoeurs passées refont peu à peu surface, sans que tu puisses faire quoi que ce soit pour l'en empêcher. Tu fais partie de ceux qui se souviennent, et cela influence forcément ta vie présente. N'est-ce pas finalement ce qu'il y a de plus effrayant ? Alors que certains sombrent sous l'emprise de leur âme passée, tu ne fais que fuir et rejeter ce que tu as pu être. Trop fière, trop forte, trop franche, peut-être. Qu'as-tu finalement gagné, en étant celle que tu as été ? La mort. Le plus gros problème des Crane n'a jamais vraiment été la guerre, puisqu'ils se sont bêtement entretués avant même que celle-ci ne commence. Tu as pu assister à la lente autodestruction de ta propre famille, dont l'apogée fut ironiquement ta propre mort. Tu te souviens, Clove, et ces souvenirs te hantent, car tu les vois peu à peu se répéter, sans savoir comment agir cette fois-ci. Mourir inutilement, des mains d'un membre de ta famille ? Cela n'arrivera plus. Echouer, laisser ta sœur jumelle seule, jusqu'à ce qu'elle se consume lentement et se tue même avec ses propres épines ? Hors de question. Tu n'as plus envie de te battre, mais tu refuses de la laisser une fois de plus. Tu es perdue, Clove, complètement perdue. Trouveras-tu seulement un jour la solution, la clé pour garder le clan Crane au complet ? Rien n'est moins sur. Veiller sur Polaris du mieux que tu peux sera pour l'instant ton unique but, bien que tu n'aies pas conscience qu'elle veille certainement bien davantage sur toi que l'inverse.

Soudainement, la sonnerie marquant le début des cours retentit bruyamment, et elle parvient presque à te faire sursauter. Vous serez ensemble en cours de potions pendant les deux prochaines heures, et bien évidemment, elle resterait ton binôme de toujours dans cette matière. Qui donc pouvait prétendre égaler les jumelles Crane en matière de potions ? S'il y avait bien un domaine dans lequel excellaient les empoisonneurs, c'était celui-ci. Sûre de votre supériorité, tu franchis le seuil de la porte des cachots, et balayes l'ensemble de la pièce de tes yeux clairs. Tu repères ton large groupe d'amis dans un coin de la salle, et leur désignes Polaris d'un simple geste de la tête, leur indiquant que tu allais te mettre avec elle. Ils y étaient habitués, et tu ne prends même pas la peine de vérifier leur réaction, posant ton sac à côté de celui de ta sœur. Encore un cours en sa compagnie, et un but de plus en plus proche à atteindre : la perfection.