Il fixa le morceau de parchemin, interdit. Ses mains tremblaient, ses doigts osaient à peines tenir la lettre par peur de la réduire en un rien de temps en charpie. C'était sans aucun doute son bien le plus précieux. Il ferma les yeux quelques instants avant de les ouvrir. La lettre était toujours là dans ses mains, sa valise posée sur le petit lit dans lequel il avait si mal dormi pendant trop d'années. Un faible sourire fleurit sur son visage. Kazran allait quitter cet endroit maudit. Cette chambre miteuse. Cet orphelinat délabré. Jamais plus il n'aurait besoin de faire face aux moqueries et autre farces des enfants de l'orphelinat qui le trouvaient si différent. Peut-être aurait-il assez de chance pour trouver des gens qui l'aimeraient, qui l'accepteraient, une famille, des amis. Poudlard. Il lui suffisait de songer au nom de l'école pour qu'il frissonne d'excitation. Sa vie ne faisait que commencer. Naïf, plein d'espoir, débordant de vie, d'idées, de bonne volonté, Kazran ignorait encore que le monde magique lui offrirait une vie trépident, des amis loyaux, une cause pour laquelle se battre avant de tout lui arracher en un fragment de seconde, le laissant une nouvelle fois seul.




« Amadeus, Septymus...» Une supplique, une prière. Qu'ils arrêtent. Kazran poussa un lourd soupire, las, épuisé, fatigué de voir ses deux meilleurs amis s'entre-déchirer, là juste devant lui. Alors qu'ils marchaient les trois dans le couloir, le ton était rapidement monté entre Septymus et Amadeus qui se regardaient tout deux en chiens de faïence, canines dehors, prêts à bondir comme deux bêtes enragées. Sanguins tous les deux, ils n'avaient pas pu résister à la tentation de se chercher des noises, encore. Les piques et les coups bas fusaient depuis plus d'une semaine lorsqu'Amadeus avait commencé à mentionner le nom de Pénélope pourtant, les paroles et les gestes des deux jeunes hommes n'avaient jamais été aussi violents. « Septymus, arrête.» La voix de Kazran était devenue elle aussi plus froide. Il devait retenir son ami. Ce dernier n'allait pas tarder à cogner, Kazran pouvait le deviner à la pâleur des jointures des mains de son ami qui se crispaient sous la colère. Amadeus, fier de lui, faisait face, un sourire carnassier digne d'un dangereux prédateur suspendu à ses lèvres. Jamais Karzan n'aurait pu imaginer qu'une simple fille puisse détruire tout ce qu'ils avaient construit. Ses meilleurs amis, ses frères, Amadeus et Septymus étaient tout pour lui. Ensemble ils avaient tout traversé, découverts un nombre incalculable de passages secrets cachés dans le Château, ils avaient uni leurs forces et leurs idéaux pour lutter contre les Slaves en créant les Chevaliers de L'Émeraude. Et pourtant tout partait en fumé, consumé par la haine, la passion, la jalousie. Envolé, balayé. Cette femme à la chevelure couleur blé avait tout chamboulé. Leur vie, leur coeur, leur amitié. Voilà que les trois frères se lançaient dans une lutte acharnée pour les beaux yeux de la demoiselle. Simple fille. Elle n'était pas simple, elle était envoutante, déroutante, passionnante. Kazran l'aimait profondément, de tout son être, tout comme Amadeus, tout comme Septymus et c'est pourquoi il devrait taire ses sentiments à jamais. Parce que l'amitié qu'il portait aux deux garçons comptait plus que tout. Parce qu'il préférait vivre le coeur brisé aux côtés de ses si chers amis plutôt que de vivre sans eux.




Kazran accéléra le pas, il était en retard, ce n'était pas dans ses habitudes. Il était en retard et Septymus allait le charrier, il pouvait le parier. C'était lui généralement qui s'amusait lorsque ce dernier arrivait les joues rougies par la course effrénée qu'il venait de faire dans tout le château en espérant arriver à l'heure dans la Salle Va-et-vient où Kazran l'attendait sagement, amusé et jamais agacé. Puis, le jeune homme se rappelait pourquoi son meilleur ami était en retard. Pénélope. Chaque fois, son ami avait été rejoindre sa douce, n'avait pas vu l'heure trop occupé à papillonner. Cette pensée brisait un peu plus le coeur du Serpentard, qui pourtant s'appliquait à ficher un sourire parfaitement ridicule sur ses lèvres et à taquiner son ami sur son retard. Cette fois-ci pourtant, il était le retardataire et ce n'était pas la douce Pénélope qui l'avait retenu à son plus grand désespoir. C'est au petit trot que Kazran arriva au septième étage et s'avança vers la porte encore invisible de la Salle sur Demande vérifiant une ultime fois qu'il n'avait pas été suivi. Les temps étaient durs et le climat se faisait de plus en plus incertain, dangereux, développant un côté paranoïaque chez le jeune homme que lui-même ignorait jusqu’alors. Il poussa la lourde porte comme il avait l’habitude de le faire au moins une fois dans la journée. Kazran ne comptait plus le nombre de fois où il avait rejoint ses deux meilleurs amis dans cette pièce puis par la suite les membres du groupe qu’ils avaient fondé au sein de ces murs protecteurs, cachés des regards. « Je sais, je suis en retard. Je n’ai aucune excuse, tu m’en vois navré Septymus. » Un sourire taquin étira ses lèvres alors qu’il avança de quelques pas en cherchant à croiser le regard bleu océan de son ami. Un silence de mort, voilà quelle fut sa réponse. Ses yeux balayèrent la pièce et s’arrêtèrent sur une silhouette qui gisait sur le sol froid, baignant dans une flaque de sang pourpre. Le cœur battant, Kazran s’avança de quelques pas avant de réaliser avec effroi qu’il contemplait le corps inanimé de Septymus. « Non, non, non, non, non, non. » Ses genoux entrèrent en contact avec le sol dur. Ses mains vinrent secouer avec force le corps froid. Du sang. Partout. « Non. Non. NON. » Un hurlement déchirant, larmoyant. Kazran continua encore et encore de secouer le corps de son ami, de son frère ignorant le sang qui tachait ses vêtements, maculait ses mains, ignorant les larmes qui roulaient le long de ses joues. Un nouveau cri s’échappa de ses lèvres alors qu’il plaqua son front contre le torse immobile de Septymus. Un cri qui réveilla les morts, qui fit trembler les murs et qu’on entendit à travers tout le château. Un appel à la vengeance. Un appel à la lutte. Un appel à la mort.




Kazran prit une longue inspiration et ferma les yeux. Il n'osait pas pleurer. Il n'en avait plus le droit, plus maintenant. Il devait se montrer brave, courageux. Pour elle, pour lui. Ses bras tremblants s'enroulèrent encore plus étroitement autour de son corps frêle, la protégeant du monde extérieur comme des remparts qui ne céderaient jamais à l'assaut des ennemis qui pourraient lui vouloir du mal. Son corps en entier tremblait, agité par les sanglots étouffés de Pénélope. Chaque larme que la jeune femme versait au creux de son épaule brûlait sa peau à vif, comme de l'acide l'aurait fait. Kazran serra les dents alors qu'une larme solitaire roula sur sa joue. Deux jours. Deux jours qu'il avait retrouvé le corps de Septymus. Deux jours qu'il ne dormait plus, ne mangeait plus, ne dormait plus. Ses cauchemars étaient terriblement réels et auraient bientôt raison de lui et de sa santé mentale. Il n'était pas assez fort pour supporter tout cela, encore moins lorsque Pénélope hurlait toute sa peine dans ses bras impuissants. A chaque minute de chaque heure alors qu'il tentait désespérément de maintenir la jeune femme à flot, en luttant de toutes ses forces contre les vagues de désespoirs qui les entraînaient tout deux vers le fond des abysses, Kazran ne pouvait s'empêcher de penser au retard qu'il avait eut ce terrible jour. Il lui aurait suffi d'arriver dix minutes avant. Dix misérables minutes et Septymus serait toujours là, son éternel sourire en coin suspendu aux lèvres. Ce serait ses mains qui caresseraient les cheveux de Pénélope. Sa voix qui lui murmurait des paroles réconfortantes au creux de l'oreille et Kazran serait le seul à avoir le coeur brisé. Il était pourtant arrivé en retard, avait retrouvé son corps inerte baignant dans son propre sang. De la tristesse, Kazran était vite passé à la colère, l'angoisse et la rage. Malgré la peine et le chagrin, l'envie de venger son frère était la seule chose qui le faisait encore vivre, l'obligeait à inspirer et expirer chaque jour pour ne pas suffoquer. Puis il y avait Pénélope. Ses bras s'enroulèrent encore un peu plus autour d'elle, collant leur corps tremblants l'un à l'autre. Karzan prit une grande inspiration pour se donner du courage avant de plonger son regard dans celui de la jeune femme, noyé par les larmes. « Je le vengerai. Je te le promets. Je retrouverai celui qui a fait ça. Je le tuerai. De mes propres mains. J'en fais le serment » A peine eut-il prit conscience de ces mots que les lèvres de la jeune femme se posèrent sur les siennes unissant les deux âmes déchirées qu'ils étaient.

little lion man

But it was not your fault but mine and it was your heart on the line. I really fucked it up this time didn't I, my dear? Didn't I, my...

''Cours, cours, cours. De toutes tes forces, aussi vite que tu le peux.'' Un ordre qu'il s'était donné à lui-même, alors il s'exécuta. Rapidement, il enroula la miche de pain dans le haillon qui lui servait de veste, sorti de la petite boutique en trombe et mit les voiles. Ses pieds foulaient le sol, vite, vite vite. La pluie et le vent fouettaient son visage, trempant ses vêtements mais le petit Alcide continuait de courir. La dernière fois, la vendeuse l'avait attrapé. Ca c'était mal passé, très mal passé. Il n'avait plus le droit à l'erreur. Parce qu'à la maison, Posy, Louis, Jeanne et Charlie avait faim. Parce que maman était clouée au lit, incapable d'aller travailler où même d'aller acheter de quoi manger, parce que papa était parti il y a de ça deux ans laissant toute une petite famille dans la misère. Alors Alcide avait pris les devants, aîné de la famille, il était devenu l'homme de la maison et ça à huit ans à peine. Alors chaque jour, il courait en emportant avec lui ce qu'il avait pu voler. La police ne venait jamais l'embêter tant ce genre de comportement était fréquent dans le quartier où les Oliver habitaient. Et puis, que pouvait-on dire à un gamin haut comme trois pommes, maigre comme un clou, au visage angélique détrempé par la pluie battante, gelé jusqu'aux os qui se battaient pour faire vivre sa famille ? Rien. On ne lui disait rien. On ne lui adressait pas la parole. On l'ignorait, on le dévisageait. C'est ainsi qu'Alcide commença sa vie. Certes moins seul que Kazran mais dans une misère identique.

Weep for yourself, my man,
You'll never be what is in your heart
Weep Little Lion Man,
You're not as brave as you were at the start
Rate yourself and rake yourself,
Take all the courage you have left
Wasted on fixing all the problems
That you made in your own head

Il marchait la tête baissée, les yeux rivés sur le sol sous les chuchotements. Il n'en revenait pas de ce qu'il venait de faire. Jamais il n'avait parlé autant fort. Jamais il n'avait élevé la voix contre un élève. Jamais. Ici il ne courait plus que pour éviter d'être bombardé de bomabouses au cas ou Garrett s'était levé du mauvais pied et avait décidé de passer ses nerfs sur lui, encore. Les courses effrénées dans les ruelles de Bristol étaient maintenant loin derrière lui et ce passé de petit délinquant aurait choqué plus d'un de ces camarades. Discret, timide et serviable, il était très rare qu'il exprime son avis ou même qu'il cherche à se venger lorsque que Garret son bourreau attitré ou un autre élève s'en prennent à lui. Proie facile qu'était Alcide. Durant les premières années, il n'y avait jamais vraiment porté de l'importance à ces brimades. Il se contentait de remercier la jolie Echo lorsque cette dernière venait l'aider et s'enfuyait aussi rapidement et silencieusement qu'il était apparu. Pourtant, depuis quelque moins, une vague de colère saisissait son coeur à chaque fois qu'un ricanement mauvais s'élevait sur son passage ou que Garret lui faisait un croche-patte. Jamais pourtant il n'aurait imaginé qu'il pourrait agir avec autant de colère et de force. Sa voix s'était soudainement transformée en un feulement mauvais. « Fous-moi la paix. » Des mots secs, crachés avec haine alors qu'il avait dégainé sa baguette d'un simple mouvement du poignet. Alcide n'avait jamais été un très bon duelliste. Le jeune homme ne se savait pas si agile avec sa baguette ni courageux. Pourtant en l'espace d'un instant il avait fait s'abattre un silence de mort dans le couloir en réagissant pour la toute première fois sous les regards interdits des autres élèves. L'espace d'un instant, d'une fraction de seconde, il s'était senti plus courageux, plus brave, capable d'oser dire ce qu'il pensait et totalement révolté à l'idée qu'on puisse se moquer de lui ou de quiconque d'ailleurs. Son regard avait croisé celui d'un autre élève, Téonard Rosier. Ce sentiment d'assurance n'avait fait que s'amplifier. Sa baguette avait été dégainée en une fraction de seconde avant qu'il ne se rende compte de ce qu'il avait fait. Alors il avait fui, paniqué, terrifié parce qu'il avait fait et par le nom qui avait ressurgit des méandres de sa mémoire. Kazran. Kazran Blueman.

Tremble for yourself, my man,
You know that you have seen this all before
Tremble Little Lion Man,
You'll never settle any of your scores
Your grace is wasted in your face,
Your boldness stands alone among the wreck
Now learn from your mother or else spend your days Biting your own neck

« Alcide tu m'écoutes ? » Le jeune homme sursauta, son regard se posa sur Peah laissant à contre-coeur Eurydice et Azraël qui parlaient au loin, au fond de la bibliothèque. Alcide n'aimait pas ça. Il détestait ça. Ce spectacle lui donnait littéralement la chair de poule, lui laissait un goût amer dans la bouche, le gout du sang qui avait inondé sa bouche avant qu'il ne s'écroule sur le sol froid en Bulgarie, assassiné par celui qu'il pensait être son meilleur ami celui qui avait tué Septymus. Azraël. « Je...je. Non je n'écoutais pas, excuse-moi. » Désolé il l'était. Parce qu'il était trop lâche, trop terrifié pour faire ou dire quoi que ce soit. Alcide se souvenait de tout. Sa vie antérieure, qui il était, ce qu'il avait fait. Il se souvenait du dernier sentiment qu'il avait éprouvé avant de mourir, de l'amour qu'il éprouvait pour Pénélope, de l'atrocité du cri qui était sorti de ses entrailles lorsqu'il avait retrouvé Septymus assassiné. Pourtant, personne d'autre ne s'en souvenait. Personne ne voyait qui il était. Même pas lui. Alcide refusait de croire à Kazran, à l'homme qu'il avait été un jour. Cet homme courageux, brave était mort ou du moins c'est ce qu'il pensant.