Ciaràn se réveille en sursaut et en sueur. Encore ce cauchemar. Ce n’est pas la première fois qu’il le fait, loin s’en faut, mais cette fois c’était encore plus réel, encore plus frappant. Dans un frisson, il rejette ses couvertures et s’assied sur son lit qui grince sous le mouvement brusque. Pas de bruit, il ne doit pas se faire prendre. Dans le long dortoir qui abrite les dizaines d’orphelins échoués là par le fruit du hasard, le moindre son est démultiplié.
Depuis qu’il avait 5 ans, Ciaràn connaissait ce monde. Presque impitoyable. Mais il avait appris à faire avec. Il se protégeait du mieux qu’il pouvait en s’accrochant désespérément à ses souvenirs. Une mère aimante surtout. De son père il n’avait aucun souvenir, peut-être ne faisait-il pas partie de sa vie à ce moment là. Une chose était certaine, sa génitrice n’avait pas voulu ce destin pour lui. Il avait été trouvé dans une maison en cendre, seul. Il devait y être depuis quelques jours. Mais à ce jour aucune signification n’a jamais été trouvée. Orphelin à 5 ans, il avait été envoyé dans l’institution la plus proche de sa ville natale en Irlande.
Silencieux comme une ombre, il avait appris à ne pas faire de vague, à faire profil bas. Même s’il était une bombe à retardement. Il sentait en lui une énergie sans pareille qui débordait de pouvoir s’exprimer. Une envie de sortir de ce purgatoire des innocents.
Il avait maintenant 10 ans et l’impression d’avoir passé plus que son temps en ces lieux damnés.

L’aurore se lève et il se cache dans les combles. Il entend le raclement de la chaise du surveillant du dortoir. Bruit caractéristique qu’il connaît par cœur. Dans moins d’une minute il entrera dans la salle aux hauts plafonds où les lits alignés devront être faits au carré. Il remontera lentement les travées en regardant chaque bambin dans les yeux pour les leur faire baisser. Il scrutera chaque couverture pour s’assurer qu’elle soit parfaitement pliée. Il claquera son martinet contre son mollet botté. Il s’arrêtera devant un lit vide et défait pour constater qu’il en manque un à l’appel.
« Ciaràn Oméga Maxwell ! »
Le cri déchirera le silence de mort du dortoir. Que Ciaràn entendra distinctement depuis son perchoir.

Depuis quelque temps maintenant, il avait décidé d’arrêter de jouer à l’enfant sage qui ne demandait rien à personne. Il voulait autre chose. Il voulait pouvoir dire qu’il était quelqu’un, il voulait pouvoir dire qu’il existait. Et surtout il voulait pouvoir demander d’où il venait. De son passé, il ne savait rien. Et maintenant il avait ces visions et… d’étranges choses qui se passaient autour de lui. Sans qu’il puisse les expliquer. Un verre cassé qui se répare sous ces yeux par exemple. C’était un jour ordinaire mais le surveillant était de très mauvaise humeur et avait le martinet facile. Le verre lui avait glissé des mains et s’était éclaté à ses pieds mais le temps que la punition arrive jusqu’à lui, les morceaux s’étaient reconstitués dans sa main. Comme par magie … Un évènement pas si bénin et qui l’avait profondément marqué. Et ces cauchemars sans cesse qui revenaient dans lesquels il ne propageait que souffrance et terreur. Il ne savait pas d’où cela pouvait venir. Il ne savait qu’une seule chose : il fallait qu’il sorte d’ici. C’était son vœu le plus cher.


Il se réveille en sursaut. Une sueur froide lui coule le long de l’échine. C’est la première fois qu’il fait ce rêve. Il sent son cœur qui bat encore mais est-ce par peur ou à cause de la joie qu’il a ressentie à torturer quelqu’un qu’il ne connaissait pas ? La réponse lui échappe totalement. Il reste dans le noir à écouter son rythme cardiaque décroître lentement. Il reprend peu à peu ses esprits.
Il entend le souffle régulier de ses camarades qui dorment. Paisiblement. Aucun n’est comme lui vraisemblablement. Aucun n’a rêvé à torturer des gens inconnus à une époque inconnue dans une ville inconnue. Qui plus est dans un lieu on ne peut plus sordide. Quelle charmante manière de commencer une journée. Dans moins d’une demi-heure, il faudra se lever et commencer une nouvelle journée. Dans cet orphelinat maudit qu’il n’a jamais pu quitter. Il aura 14 ans dans quelques jours et l’envie toujours irrépressible de s’enfuir de cet endroit dans lequel il s’ensuque inexorablement.
Comme un automate bien réglé, il effectue l’une après l’autre les tâches qui lui sont dévolues. Il ne réfléchit même plus à tout ce qu’il fait. Il est là sans être là. Et il sent inexorablement que sa vie lui échappe. Il est là, il finira là. Un oublié de la société, un indésirable qui n’a sa place nulle part. On les a juste cachés à la vue de tous. Ils sont là mais invisibles. Des petites mains de l’ombre qui, en silence, font ce qu’on leur ordonne car ils n’existent pour personne. Il ne serait pas le premier à finir ici, à moisir dans ces lieux désolés. Le surveillant lui-même est un de ceux dont personne n’a voulu. Trop endommagé certainement. On n’aime pas vraiment les petites choses avec des problèmes antérieurs. On a peur qu’il fasse de mauvaises choses. Alors on les laisse dans leur misère.

« Ciaràn. Dans mon bureau »
Il ne l’avait pas vu venir celle-là. Le directeur en personne, diable ce devait être important. Il abandonne avec soulagement sa corvée de nettoyage pour suivre l’imposant homme jusqu’à ce qu’il appelle un bureau. Un réduit qui tient plus du placard à vrai dire. Pas de décoration, des murs gris et une table sommaire avec une pile de papiers crasseux dessus. Mais c’était la seule pièce encore disponible après avoir dévolu une activité à chaque recoin de l’orphelinat : l’atelier, le dortoir, le réfectoire.
Le directeur s’assied pesamment sur ce qui lui tient lieu de chaise et caresse avec nervosité son bouc blanc taillé en pointe. Il ressemble à un penseur en pleine incertitude.
« Nous avons reçu une lettre pour toi. Ainsi qu’une visité inopinée d’ailleurs qu’il m’a été interdit d’évoquer plus longuement ici. Tu en sauras plus lorsque tu nous auras quitté »
« Lorsque je vous aurais… Quitté ? Je ne comprends pas… ! »
Interloqué, Ciaràn reste complètement interdit devant cette bouleversante nouvelle. Dire que c’est impossible est un euphémisme. On le met dehors sans plus de cérémonie ?
« Tu t’en vas dans une école un peu spéciale. Une école pour toi. » Un sourire vient éclairer le visage du directeur qui ajoute : « Si seulement tous les gosses qui sont ici pouvaient avoir ta chance… »

Un paysage ravagé. Des arbres complètement carbonisés et quelqu’un de dos qui se tient au milieu de tout ça en se frottant les mains. Cette silhouette paraît on ne peut plus heureuse du résultat désolant qui se trouve sous ses yeux. Elle se tourne lentement pour regarder bien en face et dans les yeux Ciaràn.
« C’est du beau travail. Durmstrang a fait du bon travail et nous aussi, nous avons aidés à faire tout cela. Toi et moi faisons une bonne équipe. »
Elle s’approche lentement et lève son regard glacé vers lui :
« Les Eurus ont un excellent élément avec eux mon ami. Oh oui excellent… Je n’aurai pas pu rêver mieux que toi ».

Ciaràn tombe presque de sa chaise et se rattrape in extremis au bureau de bois qui lui fait face. Poli par les ans, il ne s’ébranle même pas lorsque l’adolescent l’agrippe pour ne pas tomber. Cette fois, il a entendu des paroles. Et quelles paroles… elles lui font froid dans le dos. Il pense comprendre avec une stupeur non dissimulée qu’il vient de rêver d’un passé révolu depuis maintenant très longtemps. Les Eurus… Il a entendu ce terme en histoire de la magie. Certes, il n’est jamais très efficace dans cette matière tant son cerveau semble faire un blocage sur le savoir soporifique qui lui est prodigué par l’ennuyeux professeur mais tout de même…
Il passe les mains sur son visage comme pour se persuader qu’il est bien… lui. Il est à Poudlard, dans la bibliothèque. Chose extrêmement rare. Ce n’est pas son lieu de prédilection cependant, quelquefois, il faut bien passer par la case « extrême urgence ». Aujourd’hui est un cas extrême. Vu la masse de devoir qu’il n’a pas fait, il va devoir bûcher toute la nuit s’il espère rattraper son retard. Cependant, il n’imagine pas un endroit pire que son ancien orphelinat. Dire que Poudlard est son refuge serait trop loin de la vérité. Il s’y est construit toute une vie. Ici, il a réappris ce qu’était véritablement la vie en société, et c’est peu dire. Il est arrivé en ayant complètement l’impression d’appartenir à un autre monde. Il y avait bien trop d’élèves à son goût, tout était bien trop bruyant. Mais il était là.