Josefine Pimenova,
décembre 1914, quelque part en Europe avec les Aquilons de glace

Ce jour-là, le vent soufflait fort. Le vent était froid. Très froid. C’était la première fois qu’il l’était autant, à en glacer le sang. Les lèvres étaient violettes, la peau des visages rougit, les yeux se plissaient sous les coups du blizzard. On ne voyait rien, strictement rien, pas même un mètre devant soi, ni même ses pieds. Jamais la visibilité ne fut aussi basse. Sous les souffles du vent, la neige s’élevait puis retombait, on ne distinguait même plus les flocons qui tombaient. C’était un temps comme il n’y en avait plus eu depuis des décennies. C’était le signe que quelque chose allait se produire, ou que quelque chose devait se produire. C’était le signe qu’une menace planait déjà, ou que c’était maintenant ou jamais. Pas particulièrement croyante, Josefine Pimenova aimait à penser que c’était son jour, et que cette tempête était comme un cadeau du ciel. Un ticket pour son avenir, une porte qui s’ouvre et qu’elle aurait l’occasion de fermer à jamais. Droite et silencieuse, elle se tenait près de ses compagnons slaves, à l’abri du temps dans un campement de fortune installé à la hâte par les Aquilons de glace. L’Angleterre se faisait de plus en plus proche, et les rires gras des bulgares, triomphants à l’idée de piller Londres et toutes les villes anglaises qu’ils rencontreraient, ne présageaient rien de bon. Elle les entendait, ces imbéciles heureux qui pensaient que la victoire était à portée de main alors que la guerre commençait tout juste, et tout ce qu’elle voulait faire, c’était leur enfoncer leur baguette dans les yeux et qu’ils pleurent de douleur. A l’écart, Josefine gardait précieusement un œil sur chacun de ses camarades, jouissant intérieurement de plaisir à l’idée qu’ils soient bientôt ses anciens camarades. Ces idiots ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez, pensa-t-elle, et ils ne pensaient pas un seul instant à la défaite. Elle les dominait par l’esprit, et s’amuser à s’imaginer leurs mines déconfites quand l’échec pointerait le bout de son nez. Le revers de la médaille serait dur et compliqué, et ils paieront pour toutes ces vies sacrifiées. Josefine en était sûre, Freya Romanov serait la grande perdante de toutes ces années de guerre. Pensive, la jeune russe se remémora tous ces combats qu’elle avait mené depuis son entrée forcée dans la marche du Nord. Toutes ces vies, des combattants de Poudlard, qu’elle fut contrainte de prendre, ces corps qui tombaient sous les coups de ses sorts, comme de lourdes pierres qui se brisent au sol après tant d’années de lutte et de souffrance. Elle se souvient avoir fermé les yeux à chaque fois qu’elle lançait un sort, et les rouvrir à la vue du soldat blessé qui tombait à terre. Elle se souvient avoir eu une pensée chaque soir pour ces sorciers disparus et pour leurs familles brisées à jamais. Elle se souvient s’être donné une limite, comme on se donne un nombre de gâteau à ne pas dépasser : pas plus de trois sorciers par jour. Elle devait tuer, elle n’avait pas le choix, au risque d’être découverte, alors elle rusa pour faire croire qu’elle avait tué autant que tous les autres Aquilons. Elle se détesta pour avoir assassiné ceux qu’elle mourrait d’envie de rejoindre, et n’hésita pas, au milieu du combat et des effluves de sang, à supprimer quelques slaves, en prenant garde de ne jamais être vue, et en prenant soin de vérifier qu’ils étaient bel et bien mort. Lorsque la guerre entre Durmstrang et Poudlard éclata, Josefine n’avait que dix-huit ans. Elle rejoignit les Aquilons de glace au milieu de l’année 1613, enrôlée de force. En à peine deux ans, elle vit plus d’horreurs que n’importe qui de son âge ayant vécu à une époque différente. La souffrance, la douleur, la mort, le deuil, la haine. Autant de sentiments qu’elle n’aurait jamais voulu connaître et côtoyer. Mais la vie ne lui avait pas laissé cette chance, celle de vivre une vie paisible et heureuse où l’une de ses seules préoccupations résiderait à se trouver un mari aimant. Loin de s’apitoyer sur son sort, Josefine inspira pleinement, à croire que cette action lui donnerait de la force et du courage supplémentaire. Mais elle n’en avait pas besoin, elle était pleine de convictions et bien plus vaillante que tous ces crétins ignorants. Ils sont stratèges ? Elle l’est encore plus. D’une rare intelligence ? N’ayez crainte, la sienne les dépasse largement. Plus fort physiquement ? Foutaises ! Sa ruse, sa malice, mais surtout sa baguette, auront le dessus. Elle n’en doute pas un instant.

Elle jeta un dernier coup d’œil dehors, là où la neige faisait toujours rage, puis elle ferma les yeux une dernière fois, et marmonna quelques mots à peine audible. Lorsqu’elle les ouvrit de nouveau, Josefine avait laissé place à la guerrière qui sommeillait en elle. Elle était prête, aussi prête que jamais. Confiante, la jeune fille s’approcha du cercle des leaders qui se tenaient dans un coin de la grande tente à l’abri des regards. Elle distingua parmi les têtes brunes les cheveux blonds d’Aleksander Romanov, premier leader et fils de Freya Romanov. Aleksander Romanov, l’homme de fer, le torturé, le mal-aimé. Craint, respecté et aimé par tous, sauf par Josefine. Elle le craignait, certes, lui cet homme tâché par le sang d’innocents, mais jamais elle ne le respecta ou ne l’aima. Il était le mal incarné. Bien que l’idée de lui parler ou même de se tenir à côté de lui, lui arraché le cœur, elle tenta tant bien que mal de se frayer un chemin jusqu’à lui, écrasée par les masses des hommes qui l’entourait. Arrivée à sa hauteur, il la scruta, de haut en bas, de bas en haut, incrédule. C’était sans doute la première fois qu’il la voyait. « Qu’est-ce-que tu veux fillette ? » lança-t-il moqueur en détournant le regard et en esquissant un sourire. Fillette ? Josefine manqua de s’étouffer, elle bouillonnait mais ce n’était pas le moment de tout foutre en l’air. « Qu’avez-vous prévu ? » les autres la regardaient comme si elle était folle. Venait-elle vraiment de demander à Aleksander Romanov ses plans, ce qu’il avait prévu, et sur ce ton là ? Avait-elle seulement pensé aux conséquences ? Les autres dirigeants se mirent à lui rire doucement au nez. Pauvre petite idiote pensaient-ils… Pauvres idiots pensa-t-elle plus fort dans sa tête, alors qu’elle soutenait le regard du fils Romanov. « De quoi tu te mêles petite sotte ? » répondit ce dernier, presque amusé par la situation qui lui semblait totalement irrationnel. « J’ai entendu dire que les Chevaliers de l’émeraude marchait droit sur nous, j’ai pensé que vous devriez le savoir. » Elle ne se démontait pas la petite russe. Droit dans les yeux, elle le regardait, et c’était la première fois. Un frisson d’à peine quelques secondes parcourut son échine, alors qu’elle attendait sa réponse. « Et… à qui ai-je l’honneur de parler ? » Les autres sorciers qui entourait Aleksander Romanov se mirent à rire encore plus fort que tout à l’heure, alors que Josefine sentit le rouge lui monter aux joues. Ce n'était pas de la timidité, juste, elle ne le supportait pas. « Josefine Pimenova, » Les yeux rieurs, il poursuivit : « Bien… dis-moi Josefine, qu’est-ce-qui te fait penser que je ne suis pas au courant ? Tu ne crois pas que je t’ai devancé depuis bien longtemps ? » Pourquoi s’était-elle dévoilée au grand jour ? Elle aurait très bien pu fuir pendant un combat, quitter les rangs et s’échapper dans la forêt sans que personne ne sache rien ! Bien que son plan ressemble un tant soit peu à celui-là, Josefine avait prit la décision de se montrer, de dévoiler son identité, histoire qu’il se souvienne de son image et de son nom. Il penserait qu’elle serait morte au combat, écrasée sous des corps, il l’oublierait même peut-être tout de suite après cette entrevue, mais Josefine, même si ce qu’elle s’apprêtait à faire ne serait jamais écrit dans les livres d’histoire ou reconnu, voulait que l’homme de fer voit son visage. Au moins rien qu’une fois. Combien de fois elle avait rêvé de se tenir en face de lui pour mieux lui cracher au visage… Elle ne le ferait pas, mais elle ferait bien pire : elle trahirait les Aquilons de glace. « Probablement monsieur, mais c’est une information que je viens juste de recevoir d’une vieille connaissance installé à Londres, et qui en a eu vent. » La jeune femme marqua une pause, et s’autorisa un faible sourire, comme pour détendre l’atmosphère. « Mieux vaut prévenir que guérir. »

Plus tard dans la journée, les Aquilons de glace quittèrent le campement et s’aventurèrent dans le blizzard. Et c’est ce même jour que Josefine mit en place son plan. Sur le chemin, ils rencontrèrent les Chevaliers de l’émeraude, l’une des forces alliées de Poudlard. Lors du combat, elle simula sa mort, couchée dans la neige à côté des corps sans vie qui tombaient un à un sous le coup des sorts que les deux troupes ennemies s’envoyaient. Elle crut que cela dura une éternité, alors qu’elle retenait son souffle et gardait les yeux complètement fermés, face contre terre. Elle ne respira plus, comme elle s’était entrainée à le faire, juste le temps que ses anciens compagnons slaves ne la scrutent. « La gamine est morte. » Alors qu’ils l’avaient retourné pour voir son visage, ce dernier lui donna un coup de pied dans le ventre de sorte que son corps reprit sa position initiale, le visage enfoui dans la neige rouge du sang des sorciers tombés. La gamine… Josefine attendit patiemment la tombée de la nuit, de sorte que tous les Aquilons étaient partis. Lorsqu’elle se releva, elle fut horrifiée par la scène. La neige n’avait plus rien de pure et d’immaculée. Elle était rouge comme le sang, et le paysage n’était plus qu’un amas de corps sans vie. Elle retira la neige collée dans ses cheveux, et entreprit une longue, très longue marche. Vers l’Angleterre. Alors qu’elle enjambait les cadavres des sorciers et sorcières, elle sentit quelque chose agripper sa cheville. Surprise, Josefine tomba au sol, sur l’un des cadavres plus précisément. C’est à ce moment là qu’elle fit la connaissance de Kate Harris, une jeune anglaise avec qui elle se lia d’amitié et qui s’engagea, comme elle, dans la Garde de l’Océan en 1615.

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Amelia Price,
novembre, jour de match entre Gryffondor et Serpentard

Alice Garden était en tout point la fille parfaite. Une longue crinière brune, aucun nœud pour troubler l’équilibre parfait de ses boucles, des yeux pétillants, en amande, qui charmaient aussi bien les filles que les garçons, et une silhouette fine et élancée qui attisait toute l’envie et la jalousie de la Terre. Et par-dessus ça, Alice Garden était une élève sérieuse et assidue, première de sa classe. Ce matin-là, comme tous les samedis matins, Alice s’était installée sur l’étroit rebord d’une des fenêtres qui baignaient le dortoir de la salle commune de Gryffondor d’une douce lumière, et elle écrivait. Inlassablement. D’une traite, sans interruptions, comme si une vague d’inspiration l’a submergeait tous les samedis matins, à la même heure. Personne ne sût jamais ce que la sage Alice Garden écrivait dans ses petits calepins, pas même Amelia Price et ses yeux baladeurs. Un peu fouineuse, Amelia s’était toujours demandé ce que cette Alice pouvait bien écrire dans ses carnets. Malheureusement pour elle, la brunette prenait toujours soin de lancer un sort à ses écrits à la fin de chacune de ses séances, de sorte que les mots disparaissaient si une autre personne qu’elle tentait de lire ce qu’il y avait d’écrit. Le calme régnait dans la salle commune, qui n’abritait ce jour-là qu’Alice, et Amelia, profondément endormie dans son lit, roulée dans ses draps blancs et rouges. Non loin d’Alice, cette dernière pouvait la voir et l’entendre facilement. L’entendre parce qu’Amelia commençait à gémir dans son sommeil. A s’y rapprocher, des gouttes de sueurs commençaient à perler sur son front, elle pâlissait à vue d’œil, son souffle s’accélérait, encore et encore, tandis qu’elle rejetait petit à petit les draps qui l’entouraient. Soudain, un grand fracas retentit dans toute la chambre, et le parquet en bois trembla. Alice Garden laissa échapper un petit cri lorsqu’elle aperçut Amelia allongée sur le sol, face contre terre et à moitié recroquevillée. Elle ensorcela son cahier, et courut auprès de son amie, qui ne semblait pas encore totalement réveillée. Amelia continuait de gémir et de respirer fort, et sursauta lorsqu’Alice la secoua. « Amelia, tu vas bien ? » La jeune fille avait la sensation de sortir d’un rêve étrange, elle avait l’impression d’avoir courut des milles et des cents après une longue marche. Elle était trempée, et se sentait complètement perdue. Elle ne remarqua même pas Alice qui pourtant lui tenait le bras. « Amelia, tu m’entends ? » Non, elle ne l’entendait pas, elle était dans un état second. Voyant que cette dernière ne réagissait pas, Alice Garden prit le verre d’eau posé sur l’une des tables de nuit de la pièce, et ni une ni deux, elle aspergea Amelia. L’effet fut immédiat, et la jeune anglaise reprit vite ses esprits. A tel point que son caractère volcanique prit le dessus en un rien de temps, et qu’elle incendia la pauvre Alice. « HEY ! Non mais ça va pas ou quoi Alice ?! Pourquoi t’as fait ça ?!!! » Elle se releva d’un bond, en furie. Jamais on ne lui avait lancé un verre d’eau, jamais ! « Je… mais tu-tt-tu n’allais p-pas bien du tout et-et… » Alice balbutiait, ce type de situation provoquait en elle comme une sorte de blocage, et elle n’arrivait pas à aligner deux mots sans butter sur une syllabe, ce qui n’arrangeait rien à la situation. Amelia la coupa vivement, trop impatiente d’attendre qu’une phrase claire sorte de sa bouche. « ET ALORS ? Tu crois que ça te donne le droit de me balancer de l’eau à la figure comme ça ? » Sur ces mots, la porte des dortoirs s’ouvrit violemment, laissant place à Dani Miller. Cette entrée fracassante fit valser la petite commode à l’entrée de la chambre, et l’unique vase de la pièce se brisa au sol. Dani était l’une des meilleures amies d’Amelia, comme une sœur pour elle, et c’était l’une des rares à pouvoir remettre en place la brunette. « C’est quoi c’bordel Amelia ? Et qu’est-ce-tu fous encore en pyjama d’abord ? Nan mais attend t’es complètement trempée ! » Elle se tenait à l’encadrement de la porte, vêtue de son manteau noir et de son écharpe aux couleurs de sa maison, exaspérée. « Dépêche Price, j’te signale que t’as un match à jouer ! » Amelia leva les yeux, et partit s’enfermer dans la salle de bain pour se préparer, après avoir lancé un dernier regard noir à Alice.

- Tu crois pas que t’as été un peu vache avec Alice tout à l’heure ? demanda Dani, alors que les deux jeunes filles marchaient à toute allure dans les couloirs de Poudlard pour rejoindre au plus vite le terrain de Quidditch.
- Elle m’a lancé un verre d’eau !
- Peut-être, mais tu n’avais pas l’air dans ton état normal ! Jamais elle n’aurait fait ça pour le plaisir… D’ailleurs, qu’est-que t’avais ?

Amelia ne se souvenait de rien, et ce n’était pas la première fois qu’elle faisait ce genre de rêve ou cauchemar. Parfois, elle se réveillait avec une drôle de sensation, mais rien de grave, et d’autres fois la panique l’emportait. Elle ne prêtait guerre attention à ses rêves puisqu’elle ne s’en rappelait jamais.  La jeune anglaise se mit ensuite à repenser à Alice, et elles avait que Dani avait raison, pourtant admettre qu’elle avait tort et qu’elle s’était emportée un peu trop vite lui arraché la gorge. Elle était comme ça Amelia, un peu trop volcanique et explosive, un peu trop impulsive, et qui ne réfléchit pas forcément aux conséquences de ses actes. Alice Garden était une fille fragile, et lui crier dessus ainsi n’allait surement pas améliorer sa timidité et sa vulnérabilité. « J’irai m’excuser après le match. » Dani souria, alors que les deux Gryffondor étaient arrivées au terrain de Quidditch. « Allez dépêche, tu vas encore te faire engueuler. » Comme presque à chaque fois, Amelia était encore en retard. « Hé Price ! Gagne nous ce match ! » « J’y manquerai pas ! » Amelia quitta son amie pour rejoindre le reste de l’équipe qui faisait déjà son entrée sur le terrain. Au-dessus de leurs têtes, les gradins tremblaient sous l’excitation des élèves, tous impatients de soutenir leurs maisons. « APPLAUDISSEMENTS POUR AMELIA PRICE, POURSUIVEUSE DE GRYFFONDOOOR ! »